samedi 22 septembre 2012

Eustache de Saint-Pierre et les Bourgeois de Calais

In Gustave Ducoudray – Cent récits d’histoire de France – deuxième édition, Hachette, Paris, 1878, np, récit XXXV

Vainqueur à la journée de Crécy (26 août 1346), Edouard III alla aussitôt mettre le siège devant Calais ; il fut retenu devant la ville plus de dix mois, mais il détestait les habitants de Calais qui, par leurs courses sur mer, avaient causé de grands dommages au commerce anglais. Pour montrer sa ferme résolution de s’emparer de la place, il traça autour d’elle non plus seulement un camp, mais une véritable ville de bois. Il ne donna aucun assaut, n’éleva aucune machine contre la place et la réduisit par la famine. Philippe VI de Valois essaya en vain de secourir Calais ; il ne put s’approcher et l’héroïque gouverneur Jean de Vienne dut enfin capituler (1347). Edouard III voulait d’abord que la ville se rendit à discrétion ; il exigea ensuite que six bourgeois vinssent en chemise, la corde au cou, lui apporter les clés de la place.

Lorsque Jean de Vienne revint dans la ville, il fit sonner la cloche pour assembler le peuple dans la halle. Au son de la cloche vinrent hommes et femmes avides de nouvelles, car la famine était devenue extrême. Quand ils eurent entendu le rapport, la désolation fut grande. Alors dans l’assemblée se leva le plus riche bourgeois de la ville, qu’on appelait sire Eustache de saint-Pierre, et dit : « Ce serait grand ’pitié de laisser mourir un tel peuple par famine ou autrement quand on peut y trouver remède. J’ai si grande espérance d’avoir grâce et pardon de Notre-Seigneur si je meurs pour ce peuple, que je veux être le premier et me mettrai volontiers nu-pieds et la hart au col en la merci du roi d’Angleterre. » Tous s’empressèrent autour de lui pour rendre hommage à ce beau dévouement qui excita les larmes du peuple et qui fut imité par Jean d’Aire, Jacques et Pierre de Wissant et deux autres notables bourgeois.

Eustache de Saint-Pierre

Edouard, ayant autour de lui tous les grands seigneurs de sa cour, les attendait sur la place devant son logement : « Sire, lui dit Gaultier de Mauny, voici la représentation de la ville de Calais à votre discrétion. » Les six bourgeois se mirent à genoux et dirent : « Gentil sire et gentil roi, nous vous apportons les clefs de la ville et du château de Calais et vous les rendons à votre bon plaisir, et nous mettons en l’état que vous voyez, en votre pure volonté, pour sauver le reste du peuple de Calais, qui a souffert de beaucoup de maux. Veuillez avoir pitié de nous et merci, par votre très haute noblesse. » Le roi les regarda avec colère car il haïssait beaucoup les habitants de Calais pour les grands dommages qu’au temps passé ils lui avaient faits. Il ordonna de conduire les six bourgeois à leur mort. En vain les seigneurs intercédaient pour eux ; Edouard renouvela son ordre.


Alors la reine d’Angleterre se jeta à genoux devant son seigneur et lui dit : « Ah ! Gentil sire, depuis que je repassai la mer en grand péril, comme vous savez, je ne vous ai rien requis ni demandé. Or, je vous prie pour le fils de sainte Marie et pour l’amour de moi, vous veuillez avoir de ces six hommes merci. » Le roi attendit un peu à parler et regarda la reine qui pleurait à genoux ; le cœur lui mollit et il lui dit : « Ha ! Dame, j’aimerais mieux que vous fussiez autre part qu’ici. Vous me priez tant que je ne vous l’ose refuser et, quoique je le fasse avec peine, tenez, je vous les donne, faites en votre plaisir. » La reine fit lever les six bourgeois et leur ôter les cordes d’autour le cou, les fit revêtir et, après qu’ils eurent diné, les fit reconduire dans la ville.

Edouard chassa tous les habitants de Calais et repeupla la ville avec des familles anglaises. Il faut ajouter qu’Eustache de Saint-Pierre, sans doute par reconnaissance pour la reine qui lui avait sauvé la vie, se soumit à Edouard III et recouvra ses biens dont plus tard ses héritiers ne voulurent pas.
A quelques temps de là, Geoffroy de Charni, gouverneur de Saint-Omer, acheta le gouverneur de Calais et tenta de reprendre la ville. Mais le prétendu traitre le trompa et, au lieu de trouver des gens prêts à lui ouvrir les portes, Geoffroy de Charni rencontra une troupe nombreuse ayant Edouard III lui-même à sa tête. Il faisait nuit. La troupe de Geoffroy de Charni combattit avec vaillance et un chevalier Eustache de Ribaumont lutta avec le roi anglais, seul à seul. Les Français furent rompus, Eustache de Ribaumont dut se rendre à Edouard III qui lui dit : « Jamais je ne me suis trouvé en aucune bataille où j’aie rencontré quelqu’un qui me donnât tant à faire corps à corps que vous avez fait. Je vous en donne le prix sur tous les chevaliers de ma cour par juste sentence. » En même temps, il lui donna une couronne de perles qu’il portait sur sa tête, en lui ordonnant de la porter toute cette année comme une marque de sa haute valeur.

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