samedi 23 mars 2013

Le Luciférisme, pour une refondation spirituelle, sociale et culturelle

En nos terres de chrétienté où nous avons brûlé tant de sorcières, où l'Eglise et partout et où les histoires et autres contes donnent la part belle au Diable, une petite controverse peut s'avérer intéressante...
 


Le Luciférisme, pour une refondation spirituelle, sociale et culturelle

Comme pour le paganisme ou le panthéisme, les figures divines du monothéisme sémitique et de ses déviances (christianisme et islam) – Dieu, du moins ses représentations, ses figures – se présentent sous diverses formes au point de ne savoir s’il est le Dieu de l’amour ou celui de la colère, dont il faut craindre colère et courroux. Il est vrai que né ou créé, c’est selon les consciences, dans une région polythéiste, il intègre petit à petit nombre de caractéristiques des dieux de cette partie du bassin méditerranéen. L’hébraïsme voulant un dieu omniscient, omniprésent et omnipotent, il se charge autant de valeurs positives que négatives. Concept difficile à comprendre au point de trouver, ne serait-ce que dans la Genèse deux courants de rédactions qui répètent la même chose : un courant élohiste, or « Elohim » est un pluriel, et un courant yahviste… Yahvé, YHVH, verbe au singulier : je suis. Dieu se personnalise, se singularise.

Dieu seul, unique et exigeant ! Car il en a des ordres à donner, le bougre. Il fait tout, voit tout, sonde les cœurs et les reins… et plus exige une multitude  de comportements et de prescriptions… Reste à les interpréter, il y a des théologiens pour cela, mais dont les réflexions finissent par aller plus loin que la volonté divine elle-même. Il ne faut donc point craindre de Dieu mais surtout de ceux qui parlent en son nom !

Autre conséquence : la religion s’établit alors comme une théocratie fondatrice et organisatrice. Les lois mosaïques que l’on retrouve dans le décalogue sont fondement de la société. Or, pour paraphraser les philosophes des Lumières, l’on ne pourra se passer des lois que lorsque les hommes seront vertueux. La Vertu pour contrepartie du pêché, le caractère comme la nature de l’homme est donc dual : bonté et méchanceté, amour et haine, ne vont pas l’un sans l’autre, un peu comme Eros et Thanatos chez les Grecs… Une ambivalence, un Janus bifrons qui explique que, parce que théocratie, le pôle spirituel l’emporte sur le temporel, ce qui impose des limites et des gardiens. La société hébraïque, comme celles qui naissent par la suite dans la mouvance judéo-chrétienne, place donc le clergé au-dessus de tout. Moyen-âge et Ancien régime français, pour exemple, ne placent ils pas le clergé comme premier des trois ordres de la tripartition fonctionnelle indo-européenne si bien théorisée par Dumézil ?


La nécessaire présence du Mal

Il faut donc un moment où expliquer la présence du Mal, celui où le moment de son apparition est un mal nécessaire où tout bascule et se décide… Si Dieu créé le monde tel que la religion le reconnait (et dont la vision, chronologie mise à part, n’est pas incompatible avec la science), il faut trouver un biais pour expliquer le basculement de la félicité totale du jardin d’Eden à la naissance du monde humain lorsqu’ Adam et Eve en sont chassés violemment…
  
Car après tout, Dieu, créé l’univers et le monde en six jours, se réservant le septième… Le samedi  devant donc en toute logique servir à l’imiter pour lui rendre gloire… avec comme dernière invention l’Homme et… la femme. Un monde parfait, où coule le lait et miel, où le lion couche avec l’agneau mais où s’impose déjà une interdiction fondamentale : ne pas toucher à l’arbre de la connaissance ! Le seul tabou immédiatement imposé.  Il faut donc qu’homme et femme soient là, croyant sans condition, obéissants sans limite pour être heureux, bref une soumission dans l’ignorance, sans acte créateur, sans sexualité, sans interrogation. Il faut avoir un bouc émissaire qui, à l’instar de la bête que l’on chargeait des péchés de la communauté d’aller mourir avec eux dans le désert, un coupable qui ne peut être Dieu ! Logique finalement : comment Dieu pourrait-il demander à ses propres enfants d’obtenir la connaissance, la science, la conscience de leur condition alors qu’il leur offre une sérénité béate dans laquelle aucune évolution n’est possible ? « Bienheureux celui qui croit sans avoir vu »… on connait la suite ! Un père inciterait (il ses enfants à désobéir, mentir, bafouer les lois. Ce père-là serait indigne. Dieu, bien que polyvalent, ne peut le faire sans compromettre l’équilibre de sa création.
  
Le Mal, le ver dans le fruit, le grain de sable dans les rouages, tel un deus ex-machina, intervient pour débloquer la situation, comme dans les pièces de théâtre antique où le fin de l’histoire ne peut se faire parce que dans l’impasse ! Il faut donc nécessairement une intervention externe pour débloquer la situation. Là et seulement là, l’Histoire peut commencer réellement au lieu d’être figée au creux d’un jardin merveilleux mais appelé à la sclérose.

Coupable désigné donc, le diable… Diabolos, le Mal, celui qui introduit le ver dans le fruit… la fameuse « pomme » du premier péché, mais un ver qui prend la forme d’un serpent. L’image n’est pas anodine. Le serpent est chargé d’image négative : silencieux, il ne peut être que pernicieux. S’insinuant, sans laisser de trace, sans pattes, il rampe, passe partout. Pourtant muet, sa langue fourchue, passe pour le langage du mensonge… et sa forme, phallique, rappelle le plus grand péché des hommes et un des maux absolus pour les Eglises : la sexualité. Avec le mal nait donc le sexe. Or que fait le « diable », il incite la femme à commettre l’irréparable, s’emparer du « fruit de la connaissance », et le partager avec l’homme… Ici d’ailleurs, soit dit en passant, nait aussi la diabolisation de la femme, coupable de faire fauter l’homme, suscitant la concupiscence, l’envie, la luxure. Une fois le méfait commis, ils s’aperçurent de leur nudité, en eurent honte et conscience, et se cachèrent de Dieu. Contrairement aux animaux, l’homme et la femme ont une conscience.  Dieu qui  leur a insufflé son « anima », son âme car il les fit à SON image apprennent leur place spéciale au cœur de la création divine. Ayant accès au désir mais aussi à la honte, la culpabilité devient un vrai fonds de commerce pour Dieu (et ses représentants). Pouvant poser des questions à Dieu, voire aptes à prendre leurs propres décisions, l’issue ne peut-être que fatale : les voilà chassés du Paradis terrestre et chargés du péché originel, la faute d’Eve. Seule Marie, vierge théologique (pour la virginité anatomique, cela relève d’un autre domaine) que le dogme de l’Immaculée Conception, exempte, permet au  Verbe de prendre chair. Sinon, impossible que Dieu ait un fils qui lui soit consubstantiel, de même nature que lui, en venant depuis une matrice souillée par le pêché !!! L’Homme nait donc immédiatement pêcheur et doit passer sa vie à expier une faute qu’il n’a même pas commise… Voilà bien de quoi compromettre toute tentative d’évolution personnelle puisque tout semble joué d’avance !

L’ordre est clair une fois chassés du Paradis terrestre : «  Croissez et multipliez, emplissez la terre et dominez là ! », « homme, tu gagneras ton sel à la sueur de ton front », « femme, tu enfanteras dans la douleur ». Le mal est fait et l’Homme se voit doter de normes morales que l’on retrouve dans les sept péchés capitaux comme dans les sept vertus cardinales, et plus tard dans le décalogue. Croire sans limite, réserver sa dévotion à un SEUL Dieu, normalisant la société par des comportements qui  ne coulent pas de source apparemment. Et pour les plus sages, ajoute-t-on les trois vertus théologales : foi, espérance et charité… comme s’il fallait en plus rassurer.
  

Et le diable, Satan, Lucifer dans tout cela ?

Dieu n’en a pas fini avec lui. Présent dans le jardin d’Eden de façon absolument nécessaire comme élément déclencheur, comme détonateur pour entrer enfin dans l’Histoire, il est le tentateur, celui qui pousse à la faute, celui qui apporte la contradiction, qui met en évidence les fautes, les faiblesses et les faillites des Hommes. D’ailleurs, dans le Livre de Job, on parle du satan, en minuscule, le procureur qui montre à Dieu la faiblesse de l’homme en désignant le pauvre Job… Il fait quelques apparitions, mais à chaque fois, il est là pour pousser l’homme dans ses retranchements, mettant sous la lumière crue envies et désirs, tentations et failles… comme pour mieux montrer à Dieu que son œuvre est imparfaite… normale, elle est humaine, d’ailleurs, le sagesse ne dit-elle pas autre chose : l’erreur est humaine ? L’homme a perdu une grande part de son essence divine par son exil du jardin d’Eden… Un peu plus tard dans la Bible, et plus exactement dans les Evangiles, Satan fait des apparitions, en « guest-star ». Jésus pratique des miracles et aussi des exorcismes, preuve s’il en est que le Mal est dans le cœur des hommes… 
  
D’ailleurs, celui-ci se nomme, condition sine qua non à tout exorcisme et se présente sous le nom de  Légion « car nous sommes nombreux »…  Le Mal, contrairement à un Dieu unique et monolithique, a de multiples visages, de nombreuses facettes, il n’est pas un diamant brut mais une pierre parfaitement taillée ! Finalement le Mal tel qu’il se définit est protéiforme… Conçu pour éprouver l’Homme, ne tente-t-il pas Jésus lors de sa retraite au désert ? Ne lui offre-t-il pas la disposition des royaumes terrestres, la puissance et la gloire, ne lui offre-t-il pas toutes les richesses ? Né d’une femme, le Nazaréen est fils de Dieu, engendré et non pas créé, il devrait être à l’abri de la tentation mais non ! Il peut en avoir car il a aussi une essence humaine puisqu’homme fait de chair et né d’une femme…

Voilà donc un autre étrange rapprochement avec le paganisme occidental : le Christ peut être considéré comme un héros, c’est-à-dire un demi-dieu : une dimension divine imbriquée dans une dimension humaine. D’ailleurs, n’est-il pas régulièrement désigné par le terme de «fils de l’Homme» ? On peut aller plus loin en considérant l’hérésie arienne, pour laquelle le Christ a été créé et non engendré (ce qu’affirme le credo de Nicée) pour n’être qu’un homme doté de superpouvoirs dans le but de marquer les esprits.

Un doute sur sa figure humaine ? Du haut de la croix, il a aussi ses moments de doute car s’il accorde son pardon aux hommes, arguant qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, il implore son père et lui demande pourquoi il l’a abandonné, interrogation régulière d’ailleurs chez tous  les hommes quand cela va mal, à l’exception de Job, dont la foi est plus que chevillée au corps…


Dieu ne peut être partout, le « Diable » non plus

Dieu est une abstraction difficile à comprendre. L’Homme est « un esprit simple dans un corps simple » car comment représenter Dieu : il ne veut pas d’idole, pas de statue, pas de portrait. Il est partout, voit tout, entend tout, ordonne et juge tout. Ceci dit, son omniscience et son omniprésence  ne lui laissent pas trop le temps de s’occuper des hommes en permanence. Il faut donc des anges, des supplétifs qui veillent sur les hommes, interviennent et parfois intercèdent avant que les saints du christianisme ne prennent le relais.

Après tout, qui vient visiter Loth, le neveu d’Abraham, pour avertir de la destruction des cités pécheresses de Sodome et Gomorrhe, corrompues par le vice et le péché de sodomie et du non-respect des lois de l’hospitalité, cruciales dans le désert et la plaine sinon ce ne sont deux anges ? Ceci dit, celle-ci est associée à l’homosexualité, qui pourtant n’est pas une pratique purement homosexuelle ! Elle est perçue comme une attitude passive donc… féminine (tiens on revient à la condamnation de la femme dans la création du péché originel !) et comment justifier sa mise au ban de la société juive antique, ce qui est finalement curieux dans une société matriarcale qui offre une filiation per ventrem et non per vergam !!!
  
Qui vient annoncer à la pauvre Marie, à peine mariée, qu’elle porte en elle le fils de Dieu, celui qui par son sacrifice, se chargera des péchés du monde, faisant d’ailleurs de Joseph le cocu le plus compréhensif de l’histoire biblique, voire humaine ?

Reste  la prétendue asexualité des anges, elle n’apparait qu’au concile de Constantinople en 1453, un concile orthodoxe qui plus est, dont les canons ne devraient donc pas être reconnus par les catholiques. L’Orthodoxie étant schismatique depuis 1053 ! Le christianisme oriental pousse loin la réflexion alors parfaitement inutile : les Turcs grimpent à l’assaut des mus de la Deuxième Rome, avec le succès qu’on leur connait !

Notons toutefois au passage deux points concernant les anges. Dans l’ancien testament, les Nephilim sont évoqués comme fruit de l’union de « fils de dieu », des anges qui se sont épris des filles des hommes, se sont unis à elles et ont engendré des êtres hybrides qui se sont corrompus avec le temps et dont les torts sont suffisants aux yeux de Dieu pour « gommer » sa création par le Déluge, ne sauvant que Noé et sa famille …  Les Anges pouvaient donc descendre sur terre, revêtir aspect humain, s’unir charnellement avec les filles des hommes et engendrer… Ce sont donc là des anges déchus car ils goutent aux plaisirs de la chair, un des tabous essentiels de la religion.

La plupart ne pouvant, par punition, regagner leur état spirituel mais pas non plus garder leur défroque humaine, ni rester sur Terre, sont rejetés. Ils sont les premiers démons. Preuve en est de leur sexualité, l’Eglise définit deux espèces de démons : les mâles ou Incubes, les femelles ou Succubes, qui les uns comme les autres abusent des humains dans leur sommeil, les tentent…
  
D’ailleurs, la démonologie place souvent à la tête des succubes la fameuse Lilith, la première femme d’Adam selon la Kabbale, rejetée pour avoir refusé de se soumettre à Adam. Des ailes lui seraient poussées, lui permettant de fuir l’Eden et de laisser la place à Eve. Lilith, femme primordiale que la Kabbale assimile à un démon à la fois aérien et chtonien, un démon dévoreur et tentateur allant jusqu’à la replacer dans le paradis perdu sous la forme du serpent tentateur… Orgueilleuse, désespérée, ne décolérant pas, elle cherche le suicide avant de pouvoir engendrer des démons nés de la semence d’Adam tombée à terre. Car la semence doit être productive, sinon pourquoi condamner le péché d’Onan qui refuse d’honorer « bibliquement » la femme de son défunt frère. Pourtant la bible ne parle pas de masturbation mais bien qu’Onan préfère « laisser sa semence se perdre dans la terre ».
  
Second point avant de revenir aux anges déchus en particulier, concernant les anges en général, c’est bien la représentation qui en est faite. La représentation du sexe étant bannie dans l’Eglise en général, on est confronté à des anges de deux sortes : des adultes ou des adolescents efféminés, des éphèbes asexués ou ambivalents... ; et des enfants joufflus, se rapprochant des « amours », les Eros antiques… aux caractéristiques sexuelles des enfants ainsi que la montre l’iconographie du Grand Siècle puis du Romantisme…
  
Amen, les anges ont donc bien un sexe… mais c’est pour la bonne cause !
  
  
Qui peut faire l’ange peut faire la Bête : le satanisme en question

Le satanisme classique, tout comme le satanisme Laveyen, sont de véritables religions de la négation, un quasi nihilisme religieux. Il s’agit ici, et ainsi que le définit Anton Lavey, le fondateur de l’Eglise de Satan en 1966, de renverser les symboles chrétiens, de parodier le culte et le rite au travers de messes noires, mêlant sexe, magie et décorum… mais le décorum est aussi, quelque part, un apanage du catholicisme. A la différence des affaires de satanisme du Grand Siècle, des affaires policières et des intrigues de cour du règne de Louis XIV, il est théorisé, reçoit SA bible satanique mais dont il appert qu’elle n’est qu’un corpus de réflexions et un ensemble de rites qu’Anton Lavey développe dans plusieurs ouvrages dont la lecture est certes plaisante mais d’accès difficile. Il faut s’adresser à un éditeur confidentiel.
  
A la différence du Grand Siècle, il s’agit de rejeter une société de conventions en prenant le contre-pied, surtout dans une Amérique christianisée (et non nécessairement catholique) où Dieu est partout, du serment sur la Bible à tout moment, que ce soit dans le prétoire ou à l’intronisation du Président, où la mention « In God we trust » figure sur les monnaies… et où, de plus en plus d’ailleurs, les courants religieux fondamentalistes prennent un essor jamais démenti, ce que le défunt Lavey pourrait constater avec la politique des Républicains… mais personne n’a prétendu que les Etats-Unis d’Amérique étaient un état laïc !
Lors du Grand Siècle, la participation au Satanisme était le fait avant tout de petites gens, assez désespérées pour demander au Diable, lassées d’un Dieu sourd à leurs suppliques… pratiquant un quasi paganisme oublié dans le syncrétisme de la colonisation, pardon de l’évangélisation et où, trouver des sorcières permettait de trouver des responsables à leurs malheurs dans de véritables crises d’hystérie collectives (encore une fois misogynes, l’adage « pour un sorcier, mille sorcières » étant pleinement confirmé par les procès en sorcellerie), confondant d’ailleurs les rebouteux, médecins empiriques avec des serviteurs du Diable, poussée par l’Eglise qui cherche des responsables pour expliquer le silence de Dieu et la dureté des temps tout autant que pour confirmer sa position hégémonique en trouvant des coupables… l’hystérie durant d’ailleurs jusqu’au XVIIIe siècle ! D’ailleurs, quand ce ne sont pas les sorcières que l’on accuse, ce sont les Juifs…
    
De l’autre côté de l’échelle sociale, les Grands et puissants qui, par la participation aux messes noires, dénient le caractère sacré du roi (sacré mais pas saint, on ne peut le toucher). Se révolter sincèrement ou apparemment contre Dieu, c’est se révolter contre le Roi, lui dénier le rôle de chef de l’Eglise de France, de roi très chrétien, de lieutenant de Dieu sur Terre. C’est aussi défier l’Eglise dans son rôle d’organisateur social avec la mise en place de dogmes et de prescriptions canoniques (quoique sont nombreuses celles qui émanent du pouvoir temporel). D’ailleurs, les pratiques sexuelles ne débouchant pas sur une procréation se banalisent : la pratique du coït interrompu, l’usage du condom, des actes qui contreviennent à l’ordre divin, donc de rébellion inconsciente. On conteste, puis on refuse la société judéo-chrétienne plaçant Dieu au-dessus de tout. Visibilité de cette négation ? Le libertinage. On prend du plaisir avec le sexe qui ne sert plus seulement à l’enfantement ou à la miction… Et si on conteste Dieu, finalement on conteste son représentant, c’est-à-dire le Roi. On glose souvent sur l’influence des Philosophes des Lumières dans la Révolution de 1789… Rions un peu, quelle part de la population savait lire, et parmi celle-ci quelle part avait les moyens d’accéder à leurs textes !
   
Enfin, dans la haute société de l’époque, participer aux messes noires, même en profanant hosties et ciboires permettait en tout quiétude de participer à l’autre versant des cérémonies : les orgies ! Quelle façon de se dédouaner la plus facile et de s’absoudre de ses péchés en invoquant une possession, de dire que l’on n’était pas soi. Position schizophrénique d’aller à l’église le jour et aux messes noires la nuit… mais tellement rassurante.
  
Le vrai sataniste, lui, chantre de la destruction, n’entre sous aucun prétexte dans les églises, profane les symboles religieux et prône la destruction stérile et inconstructive : le désordre dans le chaos. Mais il faut en convenir, l’image du diable, de Satan puisque maintenant on peut le nommer, a été mise à mal par les médias. Satan, souvent présenté dans les contes médiévaux n’est pas nécessairement mauvais, il est souvent facétieux, fait de vrais blagues de potaches, est souvent naïf car berné par des hommes astucieux. D’ailleurs beau joueur, il s’amuse autant qu’il provoque les péchés des hommes. Un peu comme un ami de mauvais conseil ou un bringueur qui vous emmène dans des fêtes qui terminent mal, il propose des contrats aux hommes mais jusqu’à la période romantique, il n’offre que richesse, pouvoir ou de construire routes et demeures qu’il est impossible d’élever…
  
Satan est pragmatique… et comment expliquer qu’il demande une âme en prix de ses aides si ce n’est qu’il vole là une partie du souffle divin, la fameuse anima insufflée par Dieu à Adam… et quoique Satan soit riche (vu les contrats qu’il signe, il vaut mieux), la richesse matérielle n’est pour lui qu’un moyen, pas un but. Pour cela et comme pour Dieu, il a des aides précieux que sont ses démons, incubes et succubes… dont l’origine est à rechercher aussi du côté de l’extension du judaïsme primitif : les dieux païens rejetés, pour être condamnés vraiment, sont « diabolisés » et se retrouvent non pas à la droite de Dieu mais à la gauche du Diable, la fameuse voie de la main gauche d’Anton Lavey. Un exemple parmi tant d’autres : Belzebuth… qui n’est autre que Baal Zebub, Baal seigneur des mouches, en raison de la présence de ces insectes pullulant autour des cadavres des enfants qu’on lui sacrifiait en Phénicie. L’enfer est divisé en légions infernales comme le paradis l’est en milices angéliques.
  
Le satanisme est donc le contrepied du christianisme. Mais aujourd’hui, finalement, mis à part quelques convaincus que Dieu les a abandonné et se tournent vers l’antithèse de Dieu, qu’est-ce que le satanisme ? Il est comme celui du Grand Siècle, mis à mal par les médias. Les films présentent le Diable non plus comme un être facétieux ou que l’on dupe souvent, il devient un sujet non de réflexion ou de foi mais un véhicule commercial que l’on met à toutes les sauces et apparait comme une façon de se rebeller. La plupart des groupes de Black Metal, une variante ultra-violente du Heavy Metal en joue (je puis en parler en connaissance de cause étant moi-même, je dois confesser, amateur de ce type de  musique, ayant vu naître ce courant musical) mais concédons le, pour la plupart des musiciens, c’est une façon de se démarquer des autres groupes et bien peu, faut-il le dire, sont réellement convaincus… Les quadragénaires quoi ont connu le groupe KISS ayant la parenthèse des concerts sans maquillage savaient que les membres du groupe quittaient leur grimage dans l’intimité et c’était devenu un sport chez les fans de tenter de faire une photo d’eux à visage découvert !  Comme disait un chanteur de ce courant, il n’est pas facile de s’appeler Lord Kaos et de faire ses courses au supermarché tous les jours ! C’est bien affaire de « business »…
   
Une exception notable et de taille cependant réside dans le Black Metal scandinave qui, rejette le christianisme pour une question de retour aux sources et aussi, il est vrai de politique. Il ne faut pas oublier que les populations scandinaves furent longues et difficiles à convertir, les dernières après même le baptême de la Russie ! Touchés d’abord par le néo-paganisme, il est envahi par le néo-satanisme, convaincu d’un retour aux sources, à un âge d’or, tellement rêvé que cela peut aller pour certains jusqu’à incendier des églises. Mais cela, finalement est aussi un affect politique car une frange de ces groupes flirtent allégrement avec les droites extrêmes qui exaltent force et virilité (le christianisme paraissant comme un élément étranger… et un abus de faiblesse), le retour à l’idéal identitaire et au rejet du judéo-christianisme. 
La plupart des fans ayant un peu de réflexion sont capables de faire la part des choses. Après tout, croient-ils que l’acteur qui joue Superman vole-t-il vraiment ? Que celui qui a le rôle de Spiderman rampe au plafond ? Que la série Saw montre des meurtres sadiques réels  comme dans les snuffmovies? Bien évidemment que non… à moins qu’il ne faille désespérer… C’est là, la plupart du temps, un véritable folklore qui n’a rien à envier aux conventions star Wars, Star trek et aux autres rassemblements de cosplay !
  
   
Satan est une chose, Lucifer en est une autre

Le Luciférisme quant à lui semble avoir quasiment disparu de la scène mais il est vrai qu’il reste pour beaucoup un souvenir inconscient des études scolaires. Courant de pensée diffus, sans livre de référence, sans texte fondateur et organisateur, il est une nébuleuse… dont le centre est Lucifer. Or Lucifer n’est pas L’aspect angélique de Satan, pas plus que Satan n’est le visage démoniaque de Lucifer, ils sont fondamentalement différents.

Attardons-nous quelques instants sur Lucifer, littéralement le porteur de Lumière. Un « Ange » de lumière, symbolisant la connaissance, déchu parce que rebelle, renvoyé sur terre ou en enfer et qui paye lourdement le prix de sa rébellion par une souffrance, une affliction et une solitude profonde mais sans pour autant faire preuve de componction. Il a offensé Dieu mais le regrette-t-il vraiment ? Difficile de le savoir puisque sa déchéance est le fruit d’un parcours pensé et pesé. Néanmoins, en contrepartie, exclu des milices célestes, il est relevé de son devoir d’obéissance envers Dieu et donc est libre et affranchi des conventions et prescriptions divines.

A la différence de Satan pour qui tout est perdu, antithèse et négation de Dieu, Lucifer est une passerelle entre monde aérien et monde chtonien. Car tout déchu qu’il est, il n’est pas impie, il est susceptible de recevoir le pardon de son maître et de connaitre la rédemption donc de retourner à la droite de Dieu. Il n’est point rejet définitif mais autre manière de concevoir la condition humaine comme la dimension divine. Et si d’aventure il implore le pardon d’avoir été renégat, c’est alors en parfaite connaissance de cause ! Ce que Satan lui-même ne peut faire, chez lui, le rejet de Dieu est définitif.
  
Le Luciférisme est un avatar de la littérature romantique, à cheval entre agnosticisme des Lumières et matérialisme athée, notamment marxiste. Il se veut alors une tentative nouvelle de s’affranchir des conventions d’une société empreinte d’une forte religiosité à défaut d’être sincèrement religieuse. Ce n’est donc pas une religion mais une posture philosophique, littéraire sans nécessairement être religieuse… d’ailleurs aucun texte sacré ou se voulant tel, aucune « révélation » ne s’y rattache ni ne s’en réclame.
  
D’ailleurs, si Lucifer n’apparait pas dans l’Ancien Testament, si ce n’est une obscure mention, à la signification voilée, il est associé dans le paléochristianisme au Christ lui-même, ne vient-il pas apporter la Bonne Nouvelle (l’Evangile)…  
  
Au moment de la querelle entre les hérétiques ariens et les partisans de Lucifer de Cagliari en 354, l’attitude de celui-ci provoque un schisme dans l’Eglise en refusant l’entrée dans la communauté catholique, romaine et apostolique aux ariens qui ont apostasié l’hérésie. Il semble que Lucifer devienne alors à ce moment-là un terme péjoratif, relié d’abord à une intolérance religieuse profonde et à l’absence de pardon d’une frange catholique envers d’anciens hérétiques. Notre Lucifer, présent chez le poète Virgile, est annonciateur de l’aube et semble d’abord associé à la planète Venus, la plus brillante au matin, qualifiée improprement « étoile du Berger »… autre idée l’associant à Lucifer, ange déchu c’est que ses positions au périodes synodiques (c’est-à-dire le temps que met la planète à revenir dans la même configuration terre-planète-soleil, ici de huit ans), permet de dessiner un pentagramme… une étoile à cinq branches qui s’inscrit dans le cercle de son orbite… voilà encore un symbole ramenant aux sciences occultes…
  
Lucifer n’est donc PAS le diable, il n’est PAS Satan, principe et essence du mal mais un ange déchu, rejeté car puni par Dieu. Il est un réprouvé, un banni, qui, pare que porteur de Lumière, est le Prométhée des chrétiens. Contrairement au diable médiéval, il n’est pas ridicule ou niais voire naïf (car l’on sait que le rire exorcise la peur), c’est un personnage de tragédie, mélancolique comme le furent les romantiques qui apporte aux hommes la connaissance, ce que craint l’Eglise qui, encore est réactionnaire sur ces questions (après tout Galilée n’a été réhabilité par le Saint-Siège qu’en 1992 !) en l’opposant à la foi et à la croyance aveugle.
  
Le mythe prométhéen est donc prégnant dans l’œuvre romantique. Dieu n’aurait voulu que des croyants serviles à qui Lucifer veut offrir la connaissance pour les éprouver mais aussi pour leur offrir le libre-arbitre. Refusant de revenir sur son projet, et doutant de Dieu qui n’aurait créé l’homme que pour son adoration sans faille, se rebelle et effectivement, s’éloigne de la vision déiste, celle d’un Dieu grand horloger de l’Univers  dans lequel tout est écrit d’avance. Une interprétation théologique qui ne laisse que peu d’espoir au profit d’une liberté réelle pour l’homme, même de ne pas croire.
  
En découle alors trois personnages, une seconde trinité (non point le Père, le Fils  et le Saint-Esprit) mais une trilogie : Dieu représentant l’ordre immuable, Satan partisan de la destruction de l’œuvre de Dieu et du chaos, antithèse de Dieu, et entre les deux la synthèse, Lucifer qui offre l’évolution par la connaissance, sans rejeter Dieu totalement mais les dérives théologiques et le dogmatisme. Le Luciférisme peut-il donc être purement  chrétien ? Pas plus que le christianisme peut être stoïcien car il implique le refus d’une croyance aveugle sans toutefois dénigrer le phénomène religieux. Il exige d’étudier et de comprendre, de rejeter la superstition comme de refuser ce qui dans le dogme relève de la tradition et ce qui vient du Texte, de ce qui émane d’interprétations le plus souvent politiques. Quant aux cultes lucifériens, c’est une autre chose dont quelques variantes ont versé dans le domaine sectaire en confondant justement Luciférisme et satanisme… et encore laisserons-nous pour l’heure de côté la figure de l’antéchrist, qui relève du Livre des Révélations, la fameuse apocalypse de Jean. Son intervention est tout autre car annonciatrice de la fin des Temps humains, de la fin de la Jérusalem terrestre au profit de l’installation de la Jérusalem céleste.
  
Lucifer est bien un personnage romantique. Goethe popularise la figure de Faust. Que désire Faust finalement en actant son pacte avec le Diable si ce n’est la connaissance alchimique, ésotérique ou magique ? Le sens caché, voire hermétique, de la chose religieuse n’est pas autre : ne comprennent les écritures que ceux qui y ont accès profond et savant. Et la connaissance, le défi ultime, c’est de faire comme Lucifer, se hisser au même niveau que Dieu !
  
Ainsi, s’il ne fallait garder qu’un exemple, ne devrait-on citer l’œuvre de Mary Shelley. La créature, confondue à tort avec son créateur, répond parfaitement à cette thèse. « Frankenstein ou le Prométhée moderne » parait en 1818 et aujourd’hui connu par pléthore de films qui s’en sont inspirés que par l’ouvrage lui-même. Que fait le fameux docteur Frankenstein si ce n’est créer la vie à partir de la mort et animer un cadavre reconstitué. C’est bien faire œuvre de démiurge, se prendre pour Dieu en créant la vie, pas en procréant ! Qu’apparait-il à la lecture de l’œuvre ? La solitude de la créature face aux hommes qui le chassent, Un être frustre comme un enfant doté d’un nom puissant puisqu’il se désigne comme « Légion », ainsi que le Diable se présente à Jésus lors du premier exorcisme et surtout une pensée qui s’affranchit des commandements religieux, réfractaires au progrès et à la recherche. L’homme se veut alors l’égal de Dieu, à l’image de Lucifer, mais comme ce dernier, la créature et son créateur sont punis.
  
De fait, le Luciférisme se veut aussi une réflexion sur la condition humaine, autant philosophique que sociale mais sans exclure, ainsi que le fait le matérialisme marxiste, toute notion de religion ou de religiosité. Après tout, l’histoire des mentalités démontre que les populations gardent encore des réflexes et des comportements directement issus de la pensée antique et de superstitions païennes et chrétiennes auxquelles se joignent des observations de bon aloi qui se théorisent par des adages, des dictons ou des croyances populaires… Des différents écrits « lucifériens » réels ou supposés, l’on peut donc déduire des thèmes récurrents et prégnants.
  

Le Luciférisme, un projet émancipateur et égalitaire
  
Tout d’abord, le Luciférisme implique une recherche effrénée de savoir. Le savoir c’est le pouvoir, la compréhension du monde et donc son appréhension.
  
La Lumière chasse les Ténèbres, la Connaissance repousse l’Obscurantisme voire le dogmatisme… Il faut donc rejeter la superstition car non fondée mais aussi revenir aux textes religieux sans passer par le dogme, c’est-à-dire l’ensemble des choses auxquelles l’on DOIT croire… Protestants et Humanistes n’ont pas procédé autrement… et pourraient bien être les premiers Lucifériens mais sans pour autant verser dans l’athéisme, car le fait religieux existe et l’on ne peut gommer d’un coup des milliers d’années de croyances, donc de comportements implicites comme explicites. Cela ne revient-il pas à faire le pari de Pascal : parier sur l’existence de Dieu : rien à perdre, rien à gagner. Mais les religions étant fondatrices et organisatrices sociales, il importe de les étudier en toute sérénité, autant pour elles que pour les traces qu’elles laissent et qui s’estompent comme les pas sur le sable sans toutefois disparaitre totalement. D’ailleurs, le Luciférien peut admettre une foi sincère mais ne peut que rejeter les comportements de Pharisiens comme ceux des fanatiques !
  
Cela n’implique pas d’exclure Dieu de la réflexion mais de ne garder que les implications du phénomène religieux. Mais les Libres penseurs n’ont-ils pas commencé ainsi ?
  
En second lieu, admettre une absolue égalité entre les Hommes tout autant qu’entre hommes et femmes. Cela pourrait conduire à une remise en question totale de la société. Politiquement, le Luciférisme se veut donc égalitaire, peut se transformer en anarchisme (au sens littéral c’est-à-dire absence d’ordre social) et donc d’amener une contestation politique.
  
Agnostique et apolitique, le Luciférisme n’exclut donc personne, n’interdit aucun domaine d’étude et demande la remise en question de toute chose établie par son étude raisonnée et non pas pour le seul désir de contester.
  
S’opposer oui, mais en sachant pourquoi, en pleine et totale connaissance de cause, ce qui implique plusieurs postulats de départ : liberté de pensée, liberté d’agir, liberté d’étudier, étendue à tous et toutes, ce qui nécessite une totale transparence et une école qui forme des esprits ouverts prompts à se poser des questions autant que d’accumuler du savoir, car sans savoir,  il n’est pas possible de se poser les questions… et de fait, le Luciférisme exige la libre circulation du savoir et de la connaissance.
    
Qu’un auteur, qu’un chercheur fasse payer l’acquisition de ses ouvrages est logique car l’on ne peut se passer de la transaction puisque vivant dans un système économique fondé sur la vente et l’achat et le domaine intellectuel n’y échappe pas, mais les sources d’informations se doivent d’être libres. En ce sens, le Luciférisme ne peut que s’opposer à la volonté de certaines sociétés informatiques d’offrir gratuitement au public des ouvrages qui ne sont pas dans le domaine public car violant le principe qu’un travail mérite salaire et que le temps  passé à chercher, réfléchir, produire, écrire n’est pas gratuit, il se paye souvent cher…
  
En même temps, il faut que l’on n’ait pas le droit de recourir à la censure et que l’on puisse avoir accès à toutes les informations, sans restrictions. Or notre société actuelle, fondée sur la communication et l’omniprésence des réseaux informatiques et des bases de données doit permettre que tous puissent avoir accès à la connaissance, surtout quand les sources sont difficiles d’accès en terme de rareté (ouvrages anciens et fragiles), d’éloignement (tout le monde n’a pas la bibliothèque ou le musée au pas de sa porte) et à la contribution participative sous motif que la connaissance se veut universelle.
  
Le Luciférisme, s’il veut atteindre tout le monde, ne peut mettre de limite d’âge à l’étude et doit permettre une éducation permanente et populaire. Populaire c’est-à-dire qui ne se réserve pas à des élites ou des oligarchies, elle doit aussi transporter la connaissance dans le monde extra-scolaire et extra-universitaire en favorisant les plateformes d’échanges, les débats et les conférences ouvertes à tous sans restriction d’âge ou de condition à l’image d’universités populaires. Pour cela, il faut investir toute la sphère publique et offrir une connaissance contributive et pleinement participative. Vaste chantier dont on ne sait, si finalement, il n’est pas plutôt utopique !
  
Ainsi il importe au Luciférisme de faire reculer l’ignorance pour offrir le libre-arbitre en parfaite connaissance de cause, en tout lieu et pour tout le monde et pouvoir dire comme dans le livre de Job XVII, 12 : Post tenebras spero lucem !

samedi 9 mars 2013

La vie de la rue à Dunkerque en 1830


In « L’habitation ouvrière dans l’agglomération dunkerquoise », CAUE du Nord, 1981, 88 p, p.18

La vie de la rue faisait partie de l’habitat. Les seules sources de loisirs et de rencontres se trouvaient dans la rue qui jouait un rôle d’animation  primordial.

On continue à entendre le soir crier ces mots par toute la ville « Al Heete, al heete kouken » et particulier les dimanches, lundis et jours fériés, dès la fin de l’automne et jusqu’à la fin de l’hiver ; dans presque toutes les rues, de jeunes enfants postés à l’orifice des caves qui étaient pour lors en saillie sur la voie publique annonçaient d’une voie harmonieuse que l’on y fabriquait et vendait des « pannekoeken » toutes chaudes. C’était une sorte de galettes ainsi appelées dans la langue du pays parce qu’elles se faisaient quelquefois à la poêle, « panne » et le plus souvent sur une plaque de fer que supportaient des briques ou deux chenets  et qui pax extension se nommait aussi « panne ».

Ces galettes étaient très en faveur à Gravelines et une rue y porte encore le nom de rue des « Pannecouques ». Vers 1838, on voyait encore  à Gravelines, dans le pavage de la rue des Pannecouques deux énormes ronds formés en grès, figurant des crêpes. Ce souvenir ne resta bientôt plus que dans la mémoire des habitants : au premier remaniement des pavés de la rue, les crêpes disparurent à jamais ! A Dunkerque, les deux  ou trois derniers fabricants de pannecouques cessèrent leur industrie à la fin de l’hiver de 1833 à 1834. Peu à peu, les fabricantes de galette avaient fait place aux fabricantes de tablettes de sucre.

Celle-ci remonte à 1816 peu après le retour des premiers navires des colonies.

Ce sont des gens de caves, de ces petits marchands de fruits, de légumes et de pains d’épices qui firent et vendirent les premiers produits de ce genre de sucreries.

Cela dura plus de dix ans sans concurrence puis le nombre de fabricants s’accrut et il se créa un véritable commerce des sucreries.

Les quelques enseignes encore en flamand qui subsistaient encore au début du XIXe siècle disparaissent peu à peu. Les dernières se situaient au n°16 de la rue des Prêtres, au haut de l’entrée de la cave, faisant le coin avec la rue des Vieux-Quartiers dite du Loup ou « Wulfe Straete » au n° 11 de la rue du Quai et au 2 bis de la rue Saint-Jean, des enseignes de Cordiers en français, anglais et flamand.

De 1820 à 1825, les enfants de Dunkerque de la classe ouvrière se livraient encore à des jeux qui avaient des dénominations flamandes comme le « Pen en Ink », jeu du mouchoir, le « Bol in’t hoedje », balle dans le chapeau. La marelle, appelée « Hibkperk ». Dès 1840, ces jeux se perdent à mesure des progrès de la langue française.

Les premières écoles ouvertes en 1820 et 1821 ont eu incontestablement la plus grande influence du français sur le flamand.

Heureusement on entendra encore longtemps les poissardes parcourant les rues de la cité ou les dames des halles chanter « Versche leevaert » : poisson frais, hareng frais.

A signaler que dans les environs de Dunkerque, au hameau des matelots pêcheurs mardyckois, se trouve une population toute française et pourtant depuis le XVIIe siècle les femmes de l’endroit viennent à Dunkerque vendre leur passe-pierre et n’ont jamais eu d’autre cri que celui, purement flamand, de « Zee Salaet ».

Description de la vie de la rue en 1830,
Reprise dans bulletin de l’Union Faulconnier 1909.

Pierre-Marie Sonneville, d'Armentières à la mer


In E. TAILLEMITE « Dictionnaire des marins français », éditions Tallandier, Paris, 2002, 573 p., p.  489

Né à Armentières (Nord), le 18 janvier 1911. Entré à l’Ecole Navale en octobre 1930, enseigne de 2e classe en octobre 1932, de 1ere classe en octobre 1934, il embarqua en octobre 1936 sur le sous-marin Junon qui fut remorqué à Plymouth en juin 1940 et rallia la France Libre en juillet avec une partie de l’équipage. Lieutenant de vaisseau en juillet 1940, il commanda d’août 1940 à octobre 1942 le sous-marin Minerve avec lequel il effectua treize patrouilles sur les côtes de Norvège. Affecté à l’état-major à Londres en octobre 1942, capitaine de Corvette en janvier 1943, il fut alors parachuté en France pour organiser le réseau de renseignement « Marco Polo ». Rentré en Angleterre, il prit en mai 1943 le commandement du sous-marin Curie avec lequel il assura six patrouilles en Méditerranée. Affecté au BCRA (note : Bureau Central de Renseignement et d’Action) en février 1944, il fut à nouveau parachuté en France en mars pour diriger la délégation militaire de résistance en région parisienne. Capitaine de frégate en 1945, il servit  à l’état-major du gouverneur militaire de Paris, au cabinet du ministre des Armées et quitta le service actif en décembre 1946. Il mourut le 9 avril 1970.