mercredi 31 décembre 2014

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Les origines de la tripartition fonctionnelle et les causes de son adoption par l'Europe chrétienne à la fin du Xe siècle par Michel Rouche (1978)

DE L'ORIENT A L'OCCIDENT
Les origines de la tripartition fonctionnelle et les causes de son adoption par l'Europe chrétienne à la fin du Xe siècle

par Michel ROUCHE, maître de conférences à l'Université de Lille III
Depuis 1963, plusieurs recherches sur l'origine et les causes du succès de la théorie des trois ordres sociaux : clercs, nobles, et paysans ont paru et ont suscité de larges débats. Étant donné les multiples solu­tions proposées je voudrai tenter d'apporter un peu de clarté, après avoir résumé l'état de la question, en distinguant et en séparant, deux points fondamentaux, l'origine du schéma d'avec les causes de son adoption. Si personne ne prend cette précaution préalable, les hypothèses explicatives ne peuvent que pulluler à l'infini.

En effet, tout problème d'origine peut-être ramené en histoire à trois explications fondamentales. Le schéma triparti devenu plus tard celui des trois états : clergé, noblesse, Tiers État peut être la synthèse de deux ou plusieurs modèles antérieurs. Mais, deuxièmement, il faut aussi se demander s'il n'est pas issu de la conjoncture socio-économique du temps. Enfin, troisièmement, ne serait-il pas un emprunt au passé ? Selon la réponse donnée à la question des origines dépendra alors la réponse et le choix de la cause essentielle parmi trois autres possibilités ; inadéqua­tion des anciens schémas explicatifs, création d'un projet de rénovation par d'anciens moyens, ou maintien d'un programme ancien sur de nou­velles bases. Toute recherche scientifique se doit de répondre à ces six questions pour parvenir à expliquer comment les intellectuels de la fin du Xe siècle ont pensé la société médiévale selon un mode nouveau. Il y a là une mutation importante dans l'histoire des mentalités car elle pose les bases nécessaires pour sortir du Haut Moyen Age et préparer le Moyen Age classique.

Le pionnier en ce domaine fut Jean Batany avec son article paru dans les Annales de 1963 (1). Il montra qu'en dehors des textes célèbres d'Adalbéron évêque de Laon écrits vers 1025-1027 et de Gérard, évêque de Cambrai, prononcé vers 1033, deux auteurs anglo-saxons avaient utilisé ce même schéma triparti, Aelfric entre 995 et 1006 et Wulfetan en 1010. Il en concluait, choisissant ainsi la troisième hypo­thèse que tous ces textes révélaient une intimité profonde avec les classi­fications sociales originaires de l'Inde sanskrite dans la ligne des hypo­thèses formulées par Georges Dumézil dès  1938 (2). En 1945 Emile Benveniste mettait en relief un extrait du commentaire de "la consola­tion de Philosophie" de Boèce, daté de 897/8 (3), car il estimait qu'il s'agissait là de la dernière utilisation connue de Pidéologie des trois ordres. Batany, cependant, n'alla pas plus loin et considéra, comme il me le précisa dans une lettre, qu'il n'y avait pas «en Europe une idéologie développée des trois fonctions avant Péclosion brusque représentée par les textes d'Aelfric». En attendant sa thèse, il ne changea rien à son point de vue dans deux autres articles publiés en 1970 et 1975 (4) laissant le champ libre aux historiens, si bien que cette hypothèse paraît être en l'état actuel des recherches une impasse.

En 1965 et 1968, Jacques le Goff et le Père Yves Congar optèrent pour la deuxième hypothèse explicative (4 bis). La classification sociale répartissant les tâches entre les prêtres, les guerriers et les agricul­teurs serait un phénomène parfaitement naturel, le reflet logique d'une structure inévitable dans une société archaïque et primitive. Au fond les lois de l'évolution sociale contraindraient ce type d'institution à surgir accompagnées de l'idéologie correspondante. «Cette image conceptuelle de la société était en rapport avec de nouvelles structures sociales et politiques» (5). De plus aux yeux de Jacques le Goff, une hypothèse supplémentaire explique son apparition. Elle est un instrument de propa­gande «en rapport avec les progrès de l'idéologie monarchique et de la formation des monarchies nationales dans la Chrétienté post-carolin­gienne».

Si cette hypothèse était vraie, elle devrait être corroborée par la réalité vécue. Or ce n'est pas le cas, puisque la théorie des trois ordres qui devrait apparaître aussi chez les Germaniques et les Slaves du Moyen Age, autres sociétés primitives (6), n'y existe point. La société de l'Euro­pe du nord-ouest où vivent Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai a une structure suffisamment complexe pour qu'on ne puisse pas amal­gamer un comte-évêque et un abbé laïc, ni les classer soit dans le clergé soit dans la noblesse. De même l'Angleterre d'Alfred le Grand pratique une classification sociale qui n'a rien à voir avec nos trois fonctions, puis­que sous son règne «la négligence du service militaire entraîne pour l'homme de la plus haute classe le paiement d'une amende de 120 sous, pour celui de la classe intermédiaire (les gesith) 60 sous, pour le ceorl (homme libre ordinaire) 30 sous» (7). Donc tous les hommes libres for­maient (non compris lés clercs) trois classes sociales, deux de nobles, une de paysans, alors que théoriquement Alfred parle seulement des fyrdmenn et des weorcmenn. Par conséquent aucun historien ne peut soutenir que les deux sociétés continentale et insulaire soient identiques, pas plus qu'il ne peut prouver que chacune de ces deux classifications aussi complexes n'ait pu engendrer un schéma triparti, et encore moins qu'en étant aussi différentes Tune de l'autre, elles aient pu aboutir à une même formula­tion théorique. Il y a là une contradiction absolue en bonne logique.

Georges Duby, conscient de cette impossibilité, a préféré choisir la première hypothèse  : la synthèse de deux ou de plusieurs modèles antérieurs. Dans un article paru en 1973 (8), il propose d'y voir l'interpénétration de quatre classifications ternaires ou binaires, moines-clercs-laïcs, clercs-laïcs, clercs-soldats, puissants-pauvres, sous l'impulsion de clercs désireux de se couper des laïcs, sous les coups des nobles qui dépouillent le roi et oppriment les pauvres. «Ainsi se conjurèrent les deux divisions binaires les mieux ajustées aux relations vécues, celle qui séparant le spirituel du temporel isolait les serviteurs de Dieu des autres, celle qui affirmée par le processus de féodalisation situait la distinction fondamentale entre les hommes qui se trouvaient à la fois exploités et protégés, et ceux qui n'étaient ni l'un ni l'autre» (9). Cette explication serait définitive si Georges Duby n'avait pas refusé les textes d'Alfred, Aelfric et Wulfstan se bornant à «retenir les témoignages explicites d'Adalbéron et de Gérard». Pourquoi récuser ces trois témoignages ? Par­ce qu'il s'agit «de rechercher pour quelles raisons un tel système de classi­fication fut un peu plus tard adopté sur le continent» (9 bis). Cette analyse porte donc sur l'étude des causes, mais elle devient inapplicable aux pro­blèmes des origines du schéma. Inversement les causes de sa création au dé­but du Xle siècle par les prélats du nord de la Francie ne peuvent être utili­sés pour l'étude de ces origines puisque de par le postulat de base, il n'y a plus d'origines. Or, il existe pourtant un schéma triparti antérieur d'un siècle à celui d'Adalbéron de Laon et de Gérard de Cambrai. En somme, en ne distinguant pas assez entre adoption d'un schéma antérieur et création d'une classification nouvelle, entre origines et causes, Georges Duby ne peut appliquer l'étude des secondes aux premières et vice-versa.

Par conséquent deux hypothèses explicatives sont insatisfai­santes pour la question des origines, la deuxième et la troisième, car l'une est contredite par les faits puisque la discordance est totale entre schéma triparti et divisions sociales réelles, tandis que l'autre abandonne une par­tie des témoignages sans trancher nettement entre les deux problémati­ques des origines et des causes. Reste alors la première hypothèse celle de G. Dumézil et J. Batany, de l'emprunt au passé indo-européen. L'Orient sanskrit et avestique jouerait-il ici un rôle dans l'Occident médiéval ? L'étude  synchronique  serait-elle  préférable  à  l'étude  diachronique ?

Définissons d'abord soigneusement l'idéologie des trois fonc­tions avant d'en chercher l'origine pour l'Europe chrétienne du nord-ouest, et de découvrir les maillons manquants. La méthode comparative de Georges Dumézil a pour résultat de mettre en lumière chez les peuples indo-européens les éléments communs d'une "idéologie des trois fonc­tions" elle-même articulée sur de nombreux faits secondaires, tels que triades d'objets, de héros, d'exploits, de qualités ou de défauts, de cou­leurs ou de parfums symboliques, etc. Ces trois fonctions : le sacré (culte, magie, droit, culture, science, vieillesse, éternité etc ...). la force (physi­que ou morale, sexe masculin, pouvoir militaire, bravoure, adolescence, mort etc ...) et la fécondité (humaine et végétale, femme, masse, richesse, enfance, vie, etc ...) sont à l'origine et à la base des panthéons indo-euro­péens, des triades fonctionnelles, des mythes explicatifs, des idéologies royales et des classifications sociales (10). Voici par exemple ce que dit la Bhagavdadgita (le Chant du Bienheureux) : « O ! vainqueur des enne­mis (Àrjuna), les activités des brahmanes, des ksatriyas, des vaisyas ainsi que des sudras, se distinguent d'après leurs qualités naturellement innées. La sérénité, le contrôle de soi, l'austérité, la pureté, la tolérance et la droiture, la piété, la science et la foi dans la religion caractérisent les devoirs d'un brahmane imposés par sa naissance. L'héroïsme, la vigueur, la fermeté, la ressource, le refus de fuir même en plein combat, la généro­sité, le sens du commandement caractérisent les devoirs d'un ksatriya imposés par sa naissance. L'agriculture, l'élevage du bétail et le commerce sont les devoirs d'un vaisya de par sa naissance, le travail est l'office d'un sudra de par sa naissance. Chaque homme en s'attachant à son propre devoir atteint la perfection. Il faut que tu apprennes comment chacun attaché à son devoir atteint la perfection» (11). Il suffit d'une pareille citation pour se rendre compte que la théorie des trois ordres ne corres­pond pas à la stratification sociale réelle. En Inde, le système des castes n'a jamais répondu à cette triple catégorie. Georges Dumézil a d'ailleurs soigneusement précisé qu'il y a coupure complète entre l'idéologie et la pratique. Comme pour toute idéologie, il s'agit d'un alibi spéculatif des­tiné à orienter la société vers un idéal rarement réalisé, à expliquer le monde actuel et à justifier les hiérarchies dans une société inégalitaire. La contradiction entre la structure mentale de l'homme et la structure sociale dans laquelle il vit, demeure un fait inhérent à toute époque et à tout groupe ou individu (12). Chacun se pense différent de ce qu'il est et s'aveugle sur lui-même.

On voudra bien m'excuser de ces truismes et passer alors de l'Inde à l'Europe, du XXe siècle avant Jésus-Christ au Xe siècle après Jésus-Christ. Georges Dumézil a montré que ladite tripartition existait chez nombre de peuples indo-européens, Ossètes et Iraniens par exem­ple, qu'elle a été complètement effacée à Rome à partir de la domina­tion des Étrusques et jusqu'à Tite Live qui acheva l'historicisation des mythes latins primitifs et qu'il en fut de même en Gaule après la con­quête romaine, puisque la classification en dru-id (très savants), cheva­liers et plèbe, signalée par César ne put continuer à se perpétuer offi­ciellement dans les esprits. En effet la dernière preuve de l'existence des druides est attestée au début du Ille siècle (13). Avec cette catégorie interdite par le pouvoir romain, s'éteignit du même coup l'expression de l'idéologie des trois fonctions. En revanche elle demeure intacte dans un autre pays celtique, l'Irlande d'autant plus facilement que si les druides irlandais disparurent avec l'évangélisation, les filid, une sous-classe des druides, les bardes, eux, subsistèrent christianisés et trans­mirent tous les anciens mythes sous formes d'épopées païennes ou de vies de saints. Je tiens à rendre hommage ici à Daniel Dubuisson qui en étudiant ces textes sous ma direction a mis à jour les preuves de la con­tinuité du schéma indo-européen depuis l'Irlande de l'âge du fer jusqu'à l'Angleterre saxonne du IXe siècle. Voici quelles sont ses découvertes. Il a d'abord prouvé l'existence de triades fonctionnelles, notamment à pro­pos des talismans du roi Cormac : la coupe, l'épée, la branche à trois pommes d'or, qui symbolisent clairement les fonctions de sacré, de force et de fécondité (14). Puis, il montra que dans l'épopée de la naissance du héros Cuchulainn quatre personnages représentent la vieille société païenne, le druide et le file, qui sont la classe sacerdotale, le champion qui représente la classe militaire et l'aubergiste, la classe populaire (2). Dans les textes christianisés comme les lois, on trouve au-dessus des non-libres et dans l'ordre, le clergé chrétien puis l'aristocratie militaire, les bardes ou filid et les éleveurs de bétail (16). Ces épopées et ces lois ont probablement été mises par écrit aux Vile et Ville siècles.

Cette tradition païenne est alors prolongée directement dans les textes des vies de saints. Celle de Berach met dans la bouche de saint Patrick une prophétie où il attache au guerrier, à la femme et au clerc les qualités de vaillance de prospérité et de savoir. De même dans la vie tripartie de Patrick écrite entre 895 et 901, le saint se voit attribuer la responsabilité de répartir les descendants d'Eogan en trois classes, dans l'ordre suivant . les hommes ordonnés, les guerriers et le peuple nette­ment en dessous (17). La cause est entendue par conséquent. L'Irlande a conservé l'idéologie des trois fonctions. De plus, elle l'a transmise à l'Angleterre. Pierre Riche a montré la longue séduction des écoles irlan­daises sur les Anglo-Saxons récemment convertis (18). Or beaucoup de filid devinrent moines et le passage du maître à penser païen à l'instruc­teur chrétien se fit aisément. De nombreux monastères de type irlandais furent fondés en Angleterre. Leur influence dura au minimum jusqu'à la fin du Ville siècle et la vie de saint Patrick, ce Breton évangélisateur des Celtes d'Irlande, fut certainement chantée et récitée pour des oreilles cel­tiques et anglo-saxonnes. Ainsi dans le Pays de Galles la vie de saint Cadoc, qui a vécu au Vie siècle et mourut en 577, fait-elle une allusion très nette aux clercs, aux soldats et aux travailleurs (19). Rien d'étonnant donc à ce qu'elle ait été connue d'Alfred le Grand et d'autres écrivains anglo-saxons, et transmise par les missionnaires irlandais sur le continent, puisque leur zone de prédilection fut sans arrêt du Vile au IXe siècle inclus, la région entre Seine et Rhin les diocèses d'Amiens, Laon, Noyon-Toumai, Arras-Cambrai, etc ... (20) c'est-à-dire les régions où nous voyons réapparaître au Xe siècle la tripartition fonctionnelle. Je complé­terai enfin cette démonstration de Daniel Dubuisson par l'étude d'un texte que j'ai découvert. Il est en effet extrêmement révélateur, car il achève parfaitement la pérégrination de notre schéma et boucle chrono­logiquement et spatialement toute cette démonstration.

Il s'agit de la vie de saint Brendan dont on connaît les in­nombrables résonnances qu'elle provoqua dans l'imaginaire européen depuis Dante jusqu'à Christophe Colomb. Au cours de sa navigation le saint annonce à ses compagnons qu'ils vont aborder sur une île où il y a «trois peuples, l'un d'enfants, l'autre de jeunes gens, le troisième de vieillards». Effectivement «ils virent ... la première troupe d'enfants en vêtements très blancs, la deuxième troupe en vêtements jaunes et la troi­sième troupe en dalmatiques pourpres» (21). Nous reconnaissons ici une fois  de  plus,  la tripartition   fonctionnelle dans l'ordre inverse  3,2,1.

Les enfants et la blancheur symbolisent les produits et l'innocence, c'est-à-dire la richesse du troisième groupe, celui des producteurs. D'ailleurs ils offrent des fruits aux compagnons de Brendan. Les jeunes gens dont la cou­leur jaune caractérise le soleil, la vigueur et la violence, sont les guerriers Enfin les vieillards par leurs robes liturgiques pourpres incarnent la maturité des sages et le pouvoir sacré des prêtres. De plus, ils immolent ensuite un agneau. Ce texte venu d'Irlande a été mis par écrit entre 900 et 950, soit à Gorze où la tripartition fonctionnelle est connue (22), soit à Saint-Maximin de Trêves. Il eut une diffusion rapide et foudroyante. Trois ma­nuscrits du Xe siècle ont été conservés ; ils proviennent de Saint-Maximin de Trêves, de Saint-Mang à Ratisbonne et de Tegernsee en Bavière. Qua­torze sont datés du Xle siècle en provenance de Saint-Evroult en Nor­mandie, de Saint-Laurent à Liège, de Saint-Pierre le Vif près de Sens, de Limoges, de Mayence, de Paderbom, etc. Par conséquent nul doute qu'un tel succès auprès des publics lettrés des monastères et des cathédrales ainsi qu'auprès du peuple à qui cette vie était lue lors des fêtes solen­nelles des 16 mai et 29 juin, n'ait fini par répandre ou fait réapparaître cette vision tripartie idéale de la société. Et nous pouvons maintenant rapprocher sans crainte le texte cité plus haut de la Bhagavadgita et de celui d'Adalbéron de Laon. Quelles que soient les circonstances dans les­quelles le poème de l'évêque ait été écrit, le parallèle est instructif, car dans les deux cas les non-libres sont exclus mais par un illogisme qui prouve qu'il ne connait pas très bien le schéma, Adalbéron met ensuite comme producteurs ces mêmes serfs. Tout le monde est d'accord pour dire aujourd'hui que les paysans libres existaient en Francie et en Laon-nais au début du Xlle siècle. D'ailleurs Rathier de Liège mettait en 936 les libres et les serfs dans la catégorie des laboratores (23).

De toute façon l'important, encore une fois, n'est pas là puisque la réalité sociale ne peut pas correspondre au schéma. Ce der­nier est réapparu au cours du Xe siècle dans le nord de la Francie et en Lotharingie, du fond de l'inconscient collectif, aidé par les moines celtes, tel un ballon vainement retenu par les pieds au fond de l'eau. A ceux qui rétorqueraient qu'une pareille résurgence, même prouvée par la chaîne continue de témoignages que je viens de donner, reste une vue de l'esprit, je répondrai en citant un cas identique dans l'Iran musulman de la fin du Xe siècle. On sait que le gouvernement sassanide s'est écroulé après la bataille de Néhavend en 657. Tout ce qui rappelait l'Avesta, le zoroas-trisme et son idéologie des trois fonctions disparut du territoire iranien. Or Firdousi dans le Shahnameh (le Livre des rois), peu avant l'an mille, décrit la création des classes sociales d'une manière qui n'a strictement rien de musulman : «D'abord la classe de ceux qu'on nomme âmûzyân ; sache qu'ils sont voués aux cérémonies du culte ... De l'autre côté se placèrent ceux qu'on nomme nïsâryàn. Ils combattent comme des lions, brillent à la tête des armées et des provinces ... Sache que nasiidï est le nom de la troisième classe ... Ils labourent, plantent et récoltent eux-mêmes ... La quatrième est nommée âhnûxûsl. Apres au gain et arro­gants, ils s'emploient à tous les métiers et leur âme est toujours en souci» (24). E. Benveniste a fort bien démontré qu'à la triade classique s'est ajouté le groupe des marchands, mais qu'au total rien n'a été ajouté par rapport aux origines. Je crois maintenant que la cause est entendue. La tripartition indo-européenne s'est perpétuée depuis les grands mouve­ments de population de l'an 2000. A.C. jusqu'à l'an mille A.D. grâce aux relais irlandais païen puis chrétien, anglais puis européen du nord-ouest. Ce n'est ni un compromis, ni une création originale ni un reflet du temps. Cet emprunt au passé an-historique n'est que la réapparition d'une vision du monde qui refuse le sens chrétien de l'histoire et la rationalité, au pro­fit d'un savoir immuable et donc sécurisant.

Ceci nous amène alors à rechercher les causes de l'adoption du triplet, oratores, bellatores, laboratores. Pourquoi était-il rassurant ? Après 950 de profonds changements se devinent : nouvelle dynastie en Francie, nouvel Empire pour la Germanie, nouveaux commerces et nou­veaux défrichements, nouvelle noblesse surtout et montée de sa puis­sance. Le monde alors devient instable et n'est plus explicable selon les anciens schémas. Or l'un d'entre eux avait été constamment proposé aux lettrés et aux foules depuis les débuts du Moyen Age. Il venait d'Alexan­drie en Egypte où Origène le mit au point à la fin du Ille siècle. Partant d'une exégèse typologique d'un mystérieux passage du prophète Ezéchiel : «Si j'envoyais la peste sur ce pays», dit Yahweh, «et que Noé, Daniel et Job fussent au milieu de ce pays ... ils ne sauveraient ni fils ni filles, mais eux sauveraient leur âme par leur justice» (XIV, 14, ou 19-20), il démon­trait que ces trois justes (25) représentaient trois genres d'hommes les vierges, les continents et les mariés. Jérôme reprit ce thème au début du IVe siècle (26) et surtout Augustin, qui entre 408 et 412 y ajouta une typologie identique tirée cette fois-ci de l'Évangile (Luc XVII, 34-36 et Mat. XXIV, 40-44) selon laquelle le Seigneur au Jugement Dernier trou­vera les prêtres dans le champ de l'Eglise, les moines dans le lit du repos, les femmes tournant la meule. Dans les Quaestiones Evangeliorum, il fait même se recouper les deux séries de textes, expliquant en quoi les trois justes correspondent aux trois symboles (27). Il s'agit par conséquent d'une anthropologie biblique, et non plus sociologique, d'une vision des fidèles dans l'Eglise mais surtout pas d'une conception de la place des hommes à l'intérieur de l'humanité.

Ce schéma fut ensuite repris par Pacien de Barcelone au IVe siècle, Eucher, évêque de Lyon, entre 434 et 449 et surtout par Grégoire le Grand dans les Moralia in Job : «... s'ensuivent trois distinctions de fidèles dans l'Eglise, à savoir celle des pasteurs, des continents et des mariés ... En effet Noé qui régit l'arche sur les ondes signifie l'ordre des préposés ... Daniel dont l'admirable abstinence est décrite symbolise la vie des continents ... Job symbolise la vie des biens des gens mariés ...» (28). G. Folliet qui découvrit ces trois catégories de chrétiens affirmait que seule l'image des trois justes avait survécu et qu'il n'avait pu retrouver «l'autre comparaison établie par Augustin entre les trois sortes d'hommes que le Seigneur trouvera au champ, au lit et au moulin et ces trois catégo­ries des chrétiens : clercs, moines et fidèles» (29). En fait, elle est bien connue puisqu'elle se retrouve mot pour mot chez l'espagnol Theodulf dans son poème sur les hypocrites. «Il faut savoir que le sein de l'Église porte ces trois catégories différentes par l'ordre mais liées par une seule foi : l'ordre des clercs est dans le champ (du Seigneur) le moine a pour lot l'inaction, le peuple rassemblé s'occupe à tourner la meule. Le premier régit les paroisses, le second jouit de la sainte inaction, le dernier court le monde des actions temporelles ... Cet ordre triple, l'ensemble harmo­nieux de cette triple vie, est symbolisé par trois personnages. Ainsi Noé le père représente l'image des recteurs lui qui régit l'espérance des bêtes et des hommes au milieu des eaux. Le moine célibataire dont la place est au chœur, on le voit en Daniel qui put vaincre par la prière la débauche et la gourmandise. Job, ce sont ceux que les actions temporelles activent et abattent, lui qui fut sans défaut dans les actions du siècle» (30). La trans­mission du schéma augustinien est donc elle aussi sans défaut.

Nous le retrouvons au début du IXe siècle chez Raban Maur (31) et chez deux laïcs, en 825 pour l'empereur Louis le Pieux dans un capitulaire célèbre, en 826-838 chez un aquitain exilé Ermold le Noir qui oppose nettement l'ordre du clergé au peuple, et à l'ordre des moi­nes, intervertissant le classement en mettant les laïcs en second pour des raisons de versification (32). En somme voici une classification religieuse venue d'Egypte et d'Afrique du nord, transmise par l'Italie et l'Espagne, propagée par l'entourage méridional de Louis le Pieux qui finit par être adoptée comme le principe ordonnateur de la société carolingienne. Bien d'autres textes seraient à citer, mais une seule chose importe cependant : ce schéma a-t-il survécu à la chute de l'ordre carolingien entre 840 et 887 ? En fait il devient rarissime et, même comme l'a souligné le Père Congar, il est presqu'absent durant le Xle siècle pour ne réapparaître qu'au Xlle siècle, mais cette fois-ci à titre de symbole parénétique et non plus comme à l'époque carolingienne d'identification de l'Église avec la société. Il y a donc eu un changement dans la perception de sa significa­tion et de son enseignement.

Car il fut effectivement enseigné. Il ne resta point l'apanage des lettrés monastiques. Tournons-nous vers l'histoire de la liturgie pour comprendre comment clercs, moines et laïcs, jusqu'aux illettrés, se reconnaissaient membres d'une seule et même communauté en trois groupes. Il est aujourd'hui avéré que toute l'Église d'Espagne wisigothi-que conserva depuis le Bas Empire jusqu'en 1080 une liturgie originale qui ne put être supprimée que sur une intervention spéciale de Grégoire VII. L'étude des églises wisigothiques et mozarabes a prouvé que toutes, et ceci jusqu'au Languedoc inclus, étaient divisées selon un plan triparti, en trois rectangles successifs. L'ordo liturgique y informait l'espace clos de ces églises en disposant dans chaque zone séparée de sa voisine par l'ambon ou par des chancels, les célébrants dans l'abside, les moines dans le chœur ou le transept enfin tout le peuple des laïcs dans la nef (33). De même cet ordre triparti du futur peuple élu était visuellement perçu par tous lors des grandes processions qui menaient les foules dans les basiliques romaines ou mérovingiennes, de station en station clergé en tête, moines chantant et laïcs fermant la marche. Mais lorsque débuta la réforme carolingienne, la création des chapitres canoniaux se concrétisa par la coupure de l'église cathédrale en deux et non plus en trois à cause de la construction d'une clôture séparant les clercs réguliers des laïcs (34). Cependant, les églises monastiques conservèrent les anciennes processions en trois groupes et le schéma resta vivant encore jusqu'au Xe siècle, jus­qu'à l'expansion de la réforme clunisienne.

Prenons en effet en considération le cas de Saint-Riquier, où à l'époque d'Angilbert, le symbolisme ternaire est particulièrement re­cherché et enseigné. A l'antéglise les clercs chantent la messe dans la crypte du Sauveur, tandis que les moines restent massés sur la plate­forme de l'église haute et que les hommes et les femmes du bourg de Centula se tiennent de part et d'autre (35). A Saint-Gall, comme à Corvey et probablement dans bien d'autres églises carolingiennes de la première moitié du IXe siècle la partie occidentale des nefs est réservée aux fidèles laïcs, la partie centrale aux moines, le chœur ou l'abside aux clercs. A Saint-Riquier, la grande procession de deux mille personnes qui reliait sur quinze cents mètres les trois églises, survivantes de la liturgie stationnale ancienne, comprenait d'abord les clercs alignés selon les ordres majeurs puis mineurs qu'ils avaient reçus, les moines, enfin les laïcs en commençant par la schola, les nobles, le peuple puis les infirmes et les vieillards à la fin. Mais lorsqu'il s'agissait des trois processions allant vers chacun des treize autels de la nef, déjà faute de place, le peuple ne bougeait plus. Puis, dès la fin du IXe siècle la liturgie processionnelle per­dit de l'importance. On abandonna l'église occidentale et la nef pour con­centrer le culte des saints autour de l'autel principal dans le chevet, soit à l'aide de cryptes inférieures soit de rotondes. En 878, la liturgie axiale et non plus péregrinante est déjà pratiquée à Flavigny II (36) en Bourgogne. A Cluny II consacré en 981, il y a quatre ou huit autels dans les cryptes, cinq dans le chœur et les transepts, un seul dans la nef, l'ancien autel de type carolingien dédié à la sainte Croix auprès duquel viennent les laïcs pour communier. Il n'y a donc plus que deux divisions ici, moines dans le chœur, fidèles dans la nef. En revanche lors de la procession du di­manche des Rameaux qui se terminait à la Galilée achevée vers l'an mille, l'ordre était le suivant : le clergé avec les oblats, et leurs maîtres monas­tiques, les moines, les fidèles. La distinction entre clercs et moines avait là encore tendance à s'estomper. Enfin, dans l'abbatiale Saint-Bénigne de Dijon construite et inaugurée par Guillaume de Volpiano peu après l'an mille, la rotonde orientale à trois étages capte toute la liturgie du culte des saints. Dès lors canalisées par des déambulatoires et des couloirs étroits, les processions ne pouvaient plus englober le peuple tout entier qui devint ainsi spectateur de la liturgie. La coupure avec le clergé s'ac­centua. Dans le coutumier de Saint-Bénigne de Dijon mis par écrit sous l'abbé Jarenton (1077-1113) l'ordre des processions ne fait plus allusion au rôle des laïcs. Il n'y a plus que des moines-prêtres qui mettent leur aube et ceci même lorsqu'il «faut porter les reliques des saints hors du monastère» (37) le peuple des fidèles ne faisant qu'attendre l'arrivée des religieux avec le brancard portant les corps saints. Il en était de même à Cluny.

Ne nous étonnons plus dans ces conditions qu'avec autant d'autels à desservir (au moins dix-sept à Cluny) de plus en plus de moines aient dû recevoir le sacerdoce et que la différence entre les vierges et les continents se soit effacée, et, avec elle, la conscience dans l'esprit des foules d'une Eglise divisée en trois catégories de chrétiens. Que ce soit dans un sens ou dans l'autre, chanoines pratiquant le mode de vie mo­nastique, ou laïcs transformant les moines en chanoines, ou encore moines devenant prêtres, la deuxième moitié du Xe siècle voyait apparaître avec la nouvelle liturgie un seul groupe de clercs, dont personne ne savait exactement qui le menait, les évêques ou les abbés. Puisque Vordo litur­gique était devenu double et non plus ternaire, le schéma biblique et au-gustinien n'était donc plus utilisable. Il fallait trouver autre chose. La première cause de la réapparition de la tripartition indo-européenne est donc l'inadéquation et la disparition dans l'usage social et liturgique d'une typologie trop intellectuelle opposant Noé, Daniel et Job, vierges continents et mariés.

Il n'empêche que les clunisiens tentèrent de s'opposer à cette remontée vers la surface de la tripartition fonctionnelle, en s'emparant du "nouveau" schéma clercs, nobles et cultivateurs pour le soumettre à l'ancien. Ici, il nous faut remettre à sa juste place l'unique témoignage connu entre le IXe et le Xlle siècle qui renvoie avec précision aux trois catégories de chrétiens, celui d'Abbon, abbé de Fleury s/ Loire, écrit en 994 dans VApologeticus. Étant donné qu'il est à la charnière de l'histoire de nos deux classifications, j'en propose la traduction suivante : «Puisque nous savons qu'il y a dans la sainte et universelle Eglise trois ordres des fidèles des deux sexes ou trois degrés et bien qu'aucun d'eux ne soit sans péché, cependant le premier est bon, le second meilleur, et le troisième excellent. Le premier ordre est évidemment celui des gens mariés des deux sexes, le second celui des continentes, et des veuves, le troisième des vierges et des moniales. De même pour les hommes, il y a trois grades ou ordres, dont le premier est celui des laïcs, le second celui des clercs, le troisième celui des moines ... Mais ceci posé, en ce qui concerne les hom­mes, c'est-à-dire d'abord les laïcs, il faut dire que les uns sont paysans les autres nobles : et les paysans certes transpirent en s'adonnant aux travaux des champs et autres occupations rurales, ce qui permet à la foule de toute l'Église de se nourrir ; les nobles de leur côté, satisfaits de la récom­pense due pour leur service militaire, ne se battent pas entre eux à l'inté­rieur du sein de l'Église, mais ils repoussent en toute sagacité les adver­saires de la sainte Église de Dieu. Vient ensuite l'ordre des clercs dont on distingue spécialement trois grades, à savoir, les diacres, les prêtres et les évêques ... L'ordre des clercs se trouve au milieu entre les laïcs et les moi­nes d'autant plus qu'il est supérieur à l'inférieur et seulement inférieur au supérieur ... Enfin lorsqu'un moine est ordonné prêtre ou qu'un clerc est fait moine, qu'il sache qu'il ne servira pas l'ordre des clercs selon la cou­tume des offices ecclésiastiques, mais qu'il célébrera la messe selon l'institution du privilège grégorien» (37). Il est évident que pour Abbon seul compte le schéma ancien, clercs, moines, laïcs, et qu'il introduit de force dans le troisième groupe qu'il appelle premier, l'autre tripartition en divisent les laïcs en nobles et cultivateurs, parce qu'il ne peut pas faire autrement étant donné le succès qu'elle rencontre alors aux dépens du triptyque biblique. Mais il la soumet à l'ancienne classification et change, de plus, l'ordre de prééminence dans cette dernière, puisqu'il fait exprès de répéter que les moines sont les premiers, les clercs les seconds. Il a pour cela deux bonnes raisons l'une positive, l'autre négative, lutter pour l'obtention de l'exemption monastique et le succès de Cluny, s'opposer au clergé épiscopal et séculier qui soutient les trois fonctions indo­européennes, et veut dominer les moines.

Considérons d'abord la première cause. J. Batany (38) suivant en cela J.F. Lemarignier (39) a bien montré que l'abbé de Fleury fait un plaidoyer pour arracher son monastère à l'autorité de l'ordinaire. Il lui faut donc montrer la supériorité des moines sur les clercs, et défendre une tripartition spirituelle contre une tripartition fonctionnelle. Il ne s'agit donc pas ici comme l'explique J. Batany d'une réponse aux héré­tiques du début du Xle siècle, mais d'un âpre conflit où Abbon triomphe certes, mais en s'appuyant soigneusement sur des textes de Grégoire le Grand, le premier pape-moine. En effet lorsqu'il fait allusion au privilège grégorien d'exemption monastique, il a pour but de donner à l'ordre régulier la possibilité d'absorber littéralement le sacerdoce et de se passer des séculiers, c'est-à-dire des évêques pour obtenir ce sacrement indis­pensable à l'autonomie des nouveaux moines. Il a même inséré dans sa collection canonique un chapitre sur le sacerdoce des moines (40). De plus comme Odon, son maître en vie monastique (41), il connaît fort bien les œuvres de Grégoire le Grand. Il a certainement lu les Moralia in Job et les Homeliae in Ezechiel, textes monastiques par excellence, où se trouvent la typologie de Noé, Daniel et Job (42). Or, alors que Grégoire met toujours les prêtres en premier en les appelant "praepositi", "qui praesunt populis", "redores", "praedicantes", "praedicatores", reprises en partie à Augustin, Abbon, lui, s'acharne à mettre le clergé séculier au second rang, en déclarant qu'il est inférieur parce que plus menacé par le concubinage ou le mariage des prêtres (43). Cette volonté d'écraser l'argumentation episcopale va donc jusqu'à renverser et même falsifier la hiérarchie biblique augustinienne et grégorienne.

Ceci nous amène à la deuxième cause, la négative : empêcher le succès du schéma triparti qui met les clercs séculiers et réguliers dans un ordre indistinct permettant ainsi aux évêques de dominer l'ensemble. Abbon en effet a dirigé le monastère anglais de Ramsey ainsi que son école de 982 à 988. Il est entré en relations avec un monachisme ancien ou récent comme celui du lorrain Gérard de Brogne qui acceptait l'auto­rité episcopale. Il s'est probablement aperçu qu'en pays anglo-saxon et au pays lorrain, la tripartition fonctionnelle d'origine irlandaise s'y trouvait répandue   et qu'elle allait contre ses idées réformatrices clunisiennes.

C'est pourquoi il amortit ses implications en la subordinant à sa classifi­cation spirituelle et en glissant à l'intérieur des laïcs, les nobles et les paysans (44), afin de maintenir la supériorité des moines. Que les trois fonctions aient été défendues par les évêques, nous en avons une preuve a posteriori lors des événements de 1008 et surtout de 1025-27 (45) au cours desquels Gauzlin de Fleury et Odilon de Cluny sortent vainqueurs des évêques Arnoul d'Orléans, Fulbert de Chartres et Burchard de Vienne, à propos de l'exemption et notamment en ce qui concerne l'ordination de moines comme prêtres dans l'abbaye de Cluny. C'est justement pen­dant ce dernier conflit qu'Adalbéron évêque de Laon relance dans son épitre au roi Robert le Pieux la théorie des trois fonctions, car elle favo­rise le droit des évêques à diriger les moines. Remarquons en effet comme le prouve le tableau ci-joint (p. 44) des mentions chronologiques des deux schémas théoriques que celui soutenu par les moines héritiers d'une perspective augustinienne et carolingienne, disparaît en Francie lors­que le second renait. A cette succession chronologique qui révèle le succès, s'ajoute une répartition géographique encore plus éloquente. Les trois fonctions défendues par des évêques comme Rathier de Liège, Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai apparaissent toutes aux Xe et Xle siècles dans une zone où n'existe pas l'exemption monastique de type clunisien, là où le monachisme ancien soumis à l'ordinaire continue à se dévelop­per comme par exemple, Brogne, Moyenmoutier et Gorze (lieu probable de la rédaction de la vie de Dagobert III et de la navigation de saint Brendan, ne l'oublions pas) c'est-à-dire en Flandre, en Lotharingie et dans le nord de la Francie, toutes régions qui ne voient apparaître l'exemption clunisienne qu'à l'extrême fin du Xle siècle (46). Ces terres d'Empire ou quasiment d'Empire sont toutes de langue romane marquées par les efforts carolingiens et ottoniens pour accorder le maximum d'autorité aux évêques. Ceux-ci désirent une réforme qui n'a rien à voir avec les idées méridionales de trêve de Dieu ou d'exemption qu'ils refu­sent. Ils saisissent alors la vieille tripartition fonctionnelle, négligent le schéma germanique nobles, libres et serfs, car il sacralise complètement la noblesse (47) et proposent ainsi une vue idéale de la société conforme à leur programme : remettre les moines à leur juste place. Certes ils sont vaincus finalement dans le domaine de l'exemption, mais en revanche, grâce au changement de liturgie qui fait disparaître de la mémoire popu­laire l'anthropologie spirituelle de saint Augustin ils emportent la victoire en s'appuyant sur la tripartition fonctionnelle laquelle est toujours vi­vante dans ces terres lotharingiennes, d'où sortirent peu après les réfor­mateurs prégrégoriens que furent Humbert de Moyenmoutier et Bernon de Toul devenu Léon IX en 1049.
Ainsi dans cette querelle entre réformateurs qui marque les soi­xante années entourant l'an Mil, il n'est pas d'abord et uniquement ques­tion de renforcer l'autorité royale. Comme la bien senti J. Batany, il s'agit pour Adalbéron de signifier au roi Robert d'avoir à s'occuper du peuple et non de mettre les évêques sous l'autorité des abbés, tandis qu'Abbon cher­che à convaincre Hugues Capet et Robert qu'ils ne doivent pas écouter les évêques trop enfoncés dans le monde, mais plutôt les moines. La hiérarchie spirituelle prime la hiérarchie sociale. Les rois ne sont ici que les témoins d'une rivalité entre réformateurs dotés chacun d'un programme précis (48). Ils vont même être les victimes de cette réforme à propos de l'investiture laïque tels Henri IV déposé en 1076 et Philippe I menacé de déposition.

Au total, l'étude des origines de la tripartition fonctionnelle a prouvé qu'il s'agissait de la réapparition d'une vision du monde indo­européenne rassurante pour une époque de grande mutation. Les causes de son adoption résident dans la lente disparition d'une anthropologie spirituelle, beaucoup trop intellectuelle pour le peuple lorsqu'elle n'est plus enseignée par une nouvelle liturgie. Ces deux idéal-typus ne cor­respondent nullement à la structure sociale de leur temps. Ils sont des représentations mentales commodes pour embellir la vision que les con­temporains se donnent d'eux-mêmes. Le succès de la tripartition fonc­tionnelle dans les mentalités cultivées et populaires au cours du Xle siècle est spirituellement un échec pour les Clunisiens en particulier et l'Église en général, car les Lorrains plus réalistes et hommes de gouver­nement ont su y voir les avantages implicites qu'elle contenait : cir­conscrire la violence jusqu'alors diffuse au seul groupe des nobles, ar­racher la liberté de manœuvre pour le clergé. Ceci permit effectivement la victoire de la réforme institutionnelle de l'Église ; mais, en accentuant sa cléricalisation, la tripartition fonctionnelle supprima pour longtemps dans le peuple de Dieu, le rôle spécifique de la prière, tenu par les moines comme un trait d'union entre les clercs et les laïcs. Véritable défaite spi­rituelle, puisqu'elle perpétua la notion païenne du sacré, elle fut le ver dans le Fruit de la chrétienté médiévale. La guerre des tripartitions qui se solda par l'échec de la vision d'une communauté des croyants fit triompher l'archétype réactionnaire d'une hiérarchie cléricale où le pou­voir dominait la prière.



NOTES

1.     J. Batany. Des trois fonctions aux trois états, Annales, T. XVIII, 1963. p. 933-938.
2.     En particulier pour ne pas renvoyer à tous les ouvrages de G. Dumézil, L'idéolo­gie tripartie des indo-européens, Latomus, T. XXXI, 1958, p. 429-446.
3.     E. Benveniste, Symbolisme social dans les cultes gréco-italiques, Revue d'Histoire des religions, 1945, p. 16, note 1. Le texte avait été publié mais non expliqué par L.B. Moss, La naissance du Moyen Age, publié à Londres en 1933 et traduit en français en 1937 à Paris, p. 333.
4.     Jean Batany, Tayon de Saragosse et la nomenclature sociale de Grégoire le Grand, Archivum Latinitatis Medii aevi, t. XXXVIII, 1970, p. 173-192 et du même auteur que je remercie pour m'avoir communiqué ses deux recherches passion­nantes, Abbon de Fleury et les théories des structures sociales vers l'an Mil, Etudes ligériennes d'histoire et d'archéologie médiévales, Semaine d'études mé­diévales de Saint-Benoit sur Loire du 30 juin au 10 juillet 1969, publiés sous la direction de René Louis, Auxerre, Publications de la Société des fouilles ar­chéologiques et des monuments historiques de l'Yonne, 1975, p. 9-18.
4b. Y. Congar, Les laïcs et l'ecclésiologie des "ordines" chez les théologiens des Xle et Xlle siècles, In I Laid nella "societas christiana" dei secoli XI et XII, Pubblicazioni dell'Universita cattolica del sacro cruore, t. V, Milan, 1968, p. 83-117.
J. le Goff, Note sur société tripartie, idéologie monarchique et renouveau écono­mique dans la chrétienté du IXe au Xlle siècle,in l'Europe aux IXe et Xle siècles, Colloque de Varsovie, 1965, Paris, 1968, éd. T. Manteuffel et Al. Gieysztor, Varsovie, 1968, p. 63-72, réédité dans J. Le Goff, Pour un autre Moyen Age, Paris, 1977, p. 80-90.
5.     Ibid, voir aussi du même auteur, La Civilisation de l'Occident médiéval, Paris, 1972, p. 322.
6.     Voir plus loin pourquoi, en note 47.
7.     D. Whitelock, The beginnings of English Society, Londres, 1965, p. 84.
8.     G. Duby, Aux origines d'un système de classification sociale, Mélanges en l'honneur de F. Braudel, Paris, 1973, t. II, p. 183-188.
9.     Ibid, p. 188. Du même auteur, Guerriers et paysans. Paris, 1973, p. 187, où il estime que le schéma est une construction des intellectuels du clergé, pour qu'une "part éminente de la production parvînt entre leurs mains, ... pour être offerte à Dieu afin de gagner ses faveurs".
9b. G. Duby, Aux origines ..., art. cité, p. 185.
10.  Voir note 2.
11.      The Bhagavadgita, London, 1948, texte et traduction anglaise par Radah-Krishnan, t. XVIII, p. 41-45. On remarquera que les vaisyas sont libres et les sudras non-libres. La tripartition fonctionnelle ne prend en considération que les libres.
12.      C. Levi Strauss, Anthropologie structurale, Paris, 1958, pp. 134 et 144, l'a clai­rement démontré mais dans une autre perspective.
13.      César. De Bello Gallico, trad. L.A. Constans, Paris, 1964, t. II, 1. VI, c. 13, p. 185. Lampride, Alexander, éd. D. Magie, Londres, i960, L. VII, c. 60, p. 300.
14.      D. Dubuisson, Les talismans du roi Cormae et les trois fonctions, Revue Histori­que, 1973, p. 289-294.
15.      D. Dubuisson, l'Irlande et la théorie médiévale des "trois ordres", Revue de l'his­toire des religions, 1975, p. 34-63.
16.      Ibid ; l'existence de quatre classes n'est pas contradictoire avec la théorie géné­rale. La survivance des filid est due à la christianisation. De plus «cette greffe d'une classe de "savants laïcs" sur un schéma tri-fonctionnel trouve un paral­lèle dans certaines classifications iraniennes du temps, fort bureaucratiques, des Sassanides, où les scribes se sont imposés dans les mêmes conditions : prêtres, guerriers, scribes, éleveurs-agriculteurs».
17.      Même remarque. Ici le clergé chrétien est surajouté aux trois catégories indo­européennes.
18.      Je renvoie une fois pour toutes aux textes cités dans l'article en question de Daniel Dubuisson. Un autre extrait de la vie de Patrick place, au début de sa pré­dication , une attaque de trois hommes qui symbolisent les trois fonctions par la baguette de coudrier magique, l'épée et l'or.
19.      Pierre Riche, Education et culture dans l'Occident barbare. Paris, 1972, p. 380 ; en particulier l'influence irlandaise sur le Wessex, p. 423-426. Selon F. Le Roux, Les druides, Paris, 1961, p. 31, ces prêtres païens n'auraient disparu qu'au Xe siècle.
20.      «Nantcarvan, ibi expectans, et faciens pascale servitium, cotidie pascens centum clericos, et centum milites, et centum operarios, centumque pauperes, cum ejusdem numeri viduis». W.J. Rees, Lives of Cambro-british saints, Llandovery, 1853, p. 45. Le texte est du Xlle siècle mais les faits concordent bien avec l'épo­que du saint. Le quatrième groupe qui ajoute celui des pauvres et des veuves est une preuve supplémentaire de la christianisation du schéma païen. Peut-être s'agit-il ici d'une allusion aux matricules de pauvres et de veuves, cf. mon article. La matricule des pauvres, Evolutions d'une institution de charité du Bas-Empire jusqu'à la fin du Moyen Age, in Etudes sur l'histoire de la pauvreté jusqu'au XVIe siècle, Paris, 1974, T. I, p. 83-110.
21.      M. Rouche, Les Saxons et les origines de Quentovic, Revue du Nord, 1977, t. LIX, 457-478.
22.      «Très populisunt inilla insula, unus puerorum et aliusiuvenum, terciusseniorum... Erat autem Drima turma puerorum in vestibus candidissimis et secunda turma in iacinctinis vestibus et tercia turma in purpureis dalmaticis ... : duo ex turma iuvenum portabant cofinum plénum de scaltis purpuris ...» Navigatio sancti Brendani abbatis, éd. C. Selmer, Notre Dame, Indiana, 1959, c. 17, p. 49-52.
23.      «Omnes inquam ecclesiae fîlii aut de sorte sunt Domini et appellantur clerici et monachi ; aut sunt ecclesiae famuli, episcopi vero confamuli, aut laboratores servi et liberi, aut milites regni». Praeloquia, P.L., t. CXXXVI, col. 236. H y a dans cette classification, quatre aut, donc quatre classes, mais en fait, même si l'ordre suivi est 1, 3, 2 il y a réellement trois classes à cause du dédouble­ment du clergé, toutes trois incluses dans une Eglise où Rathier distingue les serviteurs de Dieu, clercs et moines et les serviteurs de l'Eglise, tous les autres, évêques, travailleurs et soldats. Un autre texte pourrait être apporté au débat, celui de la vie de Dagobert III qui précise que sous son règne «Sacerdotalis quippe ordo tempore congruo psallebat ymnos omnipotenti : Deo militans ser-viebat régi suo multiplici obsequio : agricolarum anticum ordo colebat terras suas cum omni gaudio, benedicens, ei qui posuit fines suos pacem et adipe frumenti satiabat eos. Juventus quoque nobilium iusta anticorum mores canum aviumque exultabat». M.G.H. SS.R.M., t. II, Hanovre, 1898, éd. B. Krusch, p. 515, c. 4 La mémoire de Dagobert III mort en 716 à Stenay y fut conservée. La vie fut réécrite peut-être à Gorze au Xe ou bien au Xle siècle. J. Batany, op. cit., en note 4, note 29.
24.      E. Benveniste, Les classes sociales dans la tradition avestique, Journal Asiatique, t. 221, 1932,p. 117-134.
25.      F. Chatillon, Tria gênera hominum. Noé, Daniel et Job, Revue du Moyen Age, latin, 1954, t. X, p. 169-176.
26.      Saint Jérôme, in Ezech. IV, P.L., t. XXV, col. 120.
27.      G. Folliet, les trois catégories de chrétiens, d'après Luc, XVII, 34-36, Mathieu XXIV, 40-44, et Ezéchiel, XIV, 14. In Augustinus Magister, congrès internatio­nal Augustinien, Paris, 1954, p. 631-643.
G. Folliet, les trois catégories de chrétiens suivie d'un thème augustinien,L'année théologique augustinienne, t. XIV, 1954, p. 81-96.
28.      Grégoire le Grand, Moralia in Job, PL., t. 75, L.I., XIV, 20, col. 535. Cité in extenso dans G. Folliet, ibid, p. 87.
29.      Ibid, p. 93.
30.      Théodulf. De hypocritis, XVII, M.G.H. Poetae latini ..., éd. F. Dummler, t. I, Berlin, 1881, p. 474, v. 93-110.
31.      Raban  Maur.   De  clericorum  institutione, PL., t. CVII, I, 1, 2 col. 297-298.
32.      M.G.H. Capitularia, t. I ; éd. A. Boretius, Hanovre, 1853, n° 150, p. 303-304. «Régula sancta patrum constringat in ordine clerum, et populum societ lex veneranda patrum ; et monachorum ordo Benedicti dogmate crescat ...». Ermold le Noir, Sur Louis le Pieux, éd. E. Faral, Paris, 1932, v. 953-956, p. 76.
33.      J. Fontaine, L'art préroman hispanique, t. II l'art mozarabe, Paris, 1977, p. 45-48.
34.      J. Hubert, La place faite aux laïcs dans les églises monastiques et dans les cathé­drales aux Xle et Xlle siècles, in / laïci nella societas christiana. La Mendola, Milan, t. V, 1968, p. 470-487, en particulier p. 479.
35.      Carol Heitz, Architecture et liturgie processionnelle à l'époque préromane, Revue de l'Art, 1974, t. 24, p. 30-47.
36.      C. Sapin, L'abbaye Saint Pierre de Flavigny à l'époque carolingienne Centre de recherches sur l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Age, Paris-Nanterre t. 2, 1977, p. 47-59.

37.      C.  Heitz,  Lumières  anciennes et nouvelles sur  Saint  Bénigne  de Dijon, ibid. p. 63-106.  De processionibus quae fiunt post matutinum vel vesperas, texte et traduction par M. Mathieu p. 100-101.
38.      «Siquidem ex utroque sexu fidelium très ordines, ac si très gradus, in sancta et universali Ecclesia esse novimus ; quorum licet nullus sine peccato sit, tamen primus est bonus, secundus melior, tertius est optimus. Et primus quidem ordo in utroque sexu conjugatorum ; secundus continentium, vel viduarum ; tertius virginum vel sanctimonialum. Virorum tantum similiter très sunt gradus vel ordines, quorum primus est laicorum,secundus clericorum, tertius monachorum... Sed his posthabitis, primo de virorum ordine, id est de laicis, dicendum est, quod alii sunt agricolae, alii agonistae : et agricolae quidem insudant agriculturae et diversis artibus in opère rustico, unde sustentatur totius Ecclesiae multitudo ; agonistae vero, contenti stipendiis militiae, non se collidunt in utero matris suae, verum omni sagacitate expugnant adversarios sanctae Dei Ecclesiae. Sequitur clericorum ordo qui in tribus gradibus specialiter distinguitur, hoc est, diaco-norum presbyterorum et episcoporum ... Siquidem clericorum ordo inter laicos et monachos médius, quantum est superior inferiore, tantum inferio superiore ... Denique ex monachis presbyter ordinatus vel ex clerico monachus factus sciât se non clericorum more ecclesiasticis officiis deservire, sed Gregoriani privilegii institutione missa celebret in congregatione» Abbon, Apologeticus, P.L., t. 139, 1880, col. 463-465. Je renvoie aussi au commentaire qu'en fait J. Batany, Abbon ... note 4. N'y a-t-il pas dans le texte primitif missam plutôt que missa ? Encore une coquille de Aligne ...
39.      J. Batany, deuxième article, cité en note 4.
40.      J.F. Lemarignier, L'exemption monastique et les origines de la réforme grégo­rienne, dans A. Cluny, Congrès scientifique, Dijon, 1950, p. 288-340.
41.      Abbon, Collectio canonum, P.L., t. 139, c. XXI, De sacerdotio monachi, col.
487-488.
42.      Vita S. Odonis, P.L., t. 133, col. 43-86, passim, mais surtout le chapitre 20. col. 52. «rogatus est a fratribus se diligentibus, ut Moralia beati Gregorii pape sub uno eis coarctaret vo lu mine ...». Odon voit même en songe Grégoire le Grand. Voir aussi J. Laporte, Saint Odon, disciple de saint Grégoire le Grand dans A Cluny, op. cit., p. 138-143.
43.      Abbon, Apologeticus, P.L., t. 139, col. 464. C.
44.      J. Batany, op. cit. note 4 a bien vu que ie terme agonistae pour désigner les nobles est emprunté à Augustin. Abbon raisonne toujours dans un cadre de pensée patristique.
45.      J.F. Lemarignier, L'exemption ... op. cit. p. 323-325.
46.      Ibid. p. 316.
47.      «Que gens (Saxonum) omnis in tribus ordinibus divisa consistit : sunt etenim inter illos qui edhelingi, sunt qui frilingi, sunt qui lazzi illorum lingua dicuntur latina vero lingua hoc sunt nobiles, ingenuiles atque serviles» Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. et trad. Ph. Lauer, Paris, 1926, IV, 2, p. 120. Cette phrase se retrouve presque telle quelle dans la Vita Lebuini : «sed erat gens ipsa ... ordine tripartito divisa. Sund denique ibi, qui illorum lingua edlingi, sunt qui frilingi, sunt qui lassi dicuntur, quod in latina sonat lingua, nobiles, ingenuiles atque serviles» M.G.H. S.S., t. II, Hanovre 1829, éd. G. Pertz, p. 361. Cette vie a été écrite par Hucbald de Saint Amand entre 918 et 976. Cette autre vision sociale idéale était donc connue dans le nord de la Francie et en Lotharingie au Xe siècle. Identique à celle des Scandinaves, Thral, Karl/ Jarl, et beaucoup trop païenne, elle ne pouvait qu'être refusée par les clercs lotharingiens.
48. J.F. Lemarignier. Le Gouvernement royal aux premiers temps Capétiens (987-1108). Paris, 1965, p. 78-82. Au fond, il s'agit de savoir si le roi sera dominé par les moines ou les évêques. Cette querelle entre clercs ne renforce le pouvoir royal que de manière secondaire et indirecte soit par la force interne du schéma triparti qui veut que le roi soit la synthèse des trois fonctions soit, une fois que le roi a fini par admettre une bonne fois pour toutes qu'il doit obéir au clergé.


Rouche Michel. De l'Orient à l'Occident. Les origines de la tripartition fonctionnelle et les causes de son adoption par l'Europe chrétienne à la fin du Xe siècle. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 9e congrès, Dijon, 1978. pp. 31-49.

Les démons du Nord


Transportons-nous un millénaire en arrière… 

Les rives de la Flandre ne sont qu’une suite d’îles qui émergent à peine des flots, cernées par une mer toujours prompte à recouvrir les terres. Plus loin en arrière de la côte, ce ne sont que marais nés des incursions marines ou formés par des cours d’eaux paresseux. Terre pauvre, terre ingrate et pourtant, elle suscite bien des convoitises.

En 793, les « Normands », les Hommes venus du Nord, quittent leurs fjords noyés de brume et opèrent leurs premières incursions en Ecosse et au nord de l’Angleterre. Âpres au gain, excellents navigateurs, l’évocation de leurs forfaits suscite panique et épouvante. Païens qui croient qu’une mort au combat offre le paradis, ils ne sont intéressés que par le butin. Que faire sinon fuir lorsque ces géants surgissent aussi bien de la mer que des rivières ? Ils plongent leurs victimes dans la terreur en sacrifiant régulièrement au rite de l’Aigle de sang : on attrape un des fuyards pour lui ouvrir le dos à la hache de chaque côté de la colonne vertébrale pour sortir les poumons et on le relâche, agonisant, parmi les siens… Voilà qui ferait passer les ogres des contes pour d’aimables plaisantins. 

D’ailleurs, n’en seraient-ils pas, quelque part, un peu à l’origine ? Au sud de la mer du Nord, l’Europe a repris le chemin de la prospérité … et surtout, elle est chrétienne. La liturgie exige de l’or, des joyaux pour les calices et autres reliquaires. Cathédrales et monastères regorgent de ces richesses, gardées par des moines qui n’ont pas le droit de se battre ! Comment les « Vikings » pourraient-ils résister ? La tentation est d’autant plus grande que toutes les défenses mises en place du temps des Romains ne sont plus qu’un lointain souvenir !

Autant le dire, la côte flamande est le talon d’Achille de l’Empire de Charlemagne. La Mer du Nord est un point faible de l’Empire de Charlemagne. En 800, quelques mois avant que le pape ne le couronne, il installe une flotte le long du littoral. Dix ans plus tard, il ordonne que l’on construise de nouveaux navires et vient même les inspecter à Boulogne en 811, il fait en même temps reconstruire la Tour d’Orde, le phare édifié par les romains… 

Mais les Normands sont particulièrement insistants : leurs navires sont d’une excellente tenue en mer comme sur les cours d’eau et se déplacent autant à la voile qu’à la rame. Nul obstacle n’est susceptible de leur barrer la route. Les roitelets carolingiens préfèrent souvent payer un lourd tribut, le « Danegeld », pour se débarrasser de ces indésirables. Un vrai pays où coulent le lait et le miel où ils n’ont même plus besoin de se battre et piller ! Voilà ce qu’est l’Empire à leurs yeux…

En 862, Charles le Chauve ordonne la construction de camps et de ponts fortifiés sur la Seine et la Loire mais l’incapacité du pouvoir royal à défendre territoire et population mine son autorité. Des évêques et des abbés prennent la décision de fortifier eux-mêmes leurs propriétés. Cela devient un réflexe : on se cache dans un « castrum », une enceinte fortifiée, et l’on attend que les ennemis lèvent le camp. Cela les ralentit mais ne les arrête nullement. L’éloignement du roi et l’absence de réaction efficace permet aux grands seigneurs comme Baudouin Ier de confisquer le pouvoir localement pour créer les futures grandes principautés. De Bourbourg à Burg-op-Schouwen en Zélande, se construit une chaine de villes fortifiées sensée empêcher le déferlement normand. Ces bourgs, sont des enceintes simples : un fossé circulaire et un rempart en bois. Parfois, ces défenses sont complétées par la nature avec les marais… comme à Bourbourg, le « Bourg » dans le « Brouck »… mais avec un roi aux pouvoirs amoindris, cette initiative est plus certainement à mettre au compte des seigneurs locaux. Malgré les attaques normandes, certaines villes résistent vaillamment comme Cassel en 890-891. 

D’autres comme Bergues ou Furnes ont moins de chance. Dans ces villes, les traces de la première enceinte se discernent souvent sur les plans : le noyau des villes est circonscrit par une rue circulaire qui a remplacé l’ancien rempart comme à Bergues ou à Middelburg aux Pays-Bas. Les conquêtes normandes se font plus difficiles, les populations locales s’enhardissent et sont  moins faciles à rançonner, qu’importe ! Ils se tournent vers l’embouchure de la Seine et Paris, devant laquelle ils mettent le siège de 885 à 887. Leurs entreprises prennent fin avec le traité de Saint-Clair-sur-Epte conclu entre Charles III le Simple et Rollon, un chef viking, en 911. En échange du Duché de Normandie, à charge pour lui de barrer la voie vers Paris à ses anciens compatriotes… Les Normands ne reviennent plus en Flandre. Bergues, Bourbourg et Furnes, pour ne citer qu’elles, continuent de grandir dans une paix relative, construisent de nouveaux remparts et renforcent leur pouvoir au point de devenir vite les sièges de châtellenies importantes, cumulent tous les pouvoirs féodaux. Quant au Normands, leur destinée est ailleurs : à Kiev et à Moscou où ils fournissent des troupes d’élite, dans le monde arabe où ils font du commerce et en Angleterre où un descendant de Rollon devient roi en 1066 à la suite de la bataille d’Hastings ou encore en Flandre où nombre de comtes sont issus de sa descendance mais ça, c’est une autre histoire !


Grande Guerre : les préoccupations des maires de l'agglomération dunkerquoise (1917)



14 novembre 1917                          Défense de Dunkerque et de la Région

                                                            M. le maire donne lecture au conseil municipal de la requête ci-après remise à M. Painlevé, Président du conseil, ministre de la guerre, au nom des maires de la région par M. Terquem, maire de Dunkerque.

                                                            « Dunkerque, le 8 octobre 1917
                                                            « Monsieur Painlevé,
                                                            Président du Conseil, Ministre de la guerre,
                                                            Paris

                                                            Monsieur le Président,
                                                                              Les mandataires de la région de Dunkerque qui vous présentent ce document et viennent faire un pressant appel au Gouvernement pour être mieux défendus, n’agissent pas dans un intérêt particulier, égoïste, demandant plus pour eux que pour toute autre partie du territoire national ; ils ont conscience qu’ils représentent une partie du patrimoine de la France, partie à laquelle le labeur, le courage obstiné, la confiance indéfectible des populations dans les destinées du pays ont donné une valeur exceptionnelle.
                                                                              S’ils viennent donc insister avec toute l’énergie que leur dicte la conscience de leur devoir, ce n’est pas seulement pour préserver la vie et les propriétés de leurs concitoyens, mais pour ne pas voir briser, sous leurs yeux, un instrument de travail nécessaire à la victoire économique et militaire de la France.

                                                            Situation de Dunkerqueaucune ville des pays actuellement en guerre ne possède une situation aussi dangereuse que Dunkerque. Placée à trente kilomètres du front, elle est placée sous les feux des canons à longue portée de l’ennemi ; les avions la survolent en quelques instants ; arrivent soit par terre, soit plutôt par la mer et peuvent se livrer à leurs attaques et s’enfuir, sans que leur arrivée ait put être signalée, la mer, les bassins, les canaux qui l’entourent en permettent un repérage facile ; enfin, située au bord même de la mer, elle est, en outre, exposée aux attaques des navires ennemis.

                                                            Attaques de l’ennemi – Depuis trois ans, Dunkerque a subi tous les modes d’attaque ; 92 bombardements par avions avec 2.062 bombes, un bombardement par Zeppelin avec 11 bombes, deux bombardements par mer avec 65 obus et 14 bombardements par 380 avec 28 obus.
                                                                              Les victimes ont été, pour l’agglomération, 399 tués et 898 blessés dont 150 tués et 200 blessés en septembre 1917 seulement.

                                                            Valeur économique et militaire – La valeur économique de Dunkerque (3e port de France, admirablement aménagé et outillé, entouré de nombreuses usines) n’a pas à être démontrée et l’utilisation de son port, au point de vue militaire, tant pour le ravitaillement des armées que comme base d’opérations dans la Mer du Nord, est tout aussi évidente. La plupart des usines qui entourent la ville travaillent en outre pour la défense nationale. C’est donc, à tous égards, un centre de production de premier ordre que la France a le plus grand intérêt à garder intact et productif, et qu’au contraire l’ennemi a le plus grand intérêt à détruire et neutraliser. On sait que les autres ports regorgent de navires et de marchandises ; celui de Dunkerque qui a été privé de tout commerce ou presque depuis la guerre, est un appoint de premier ordre et rend à l’armée et au pays des services appréciables.

                                                            Quels résultats ont obtenu les attaques de l’ennemi – Sauf pendant les mois de mai, juin et juillet 1915 où la vie a été ralentie par le bombardement de 380, la vie économique de Dunkerque et de sa région, grâce au courage et à la ténacité admirable de ses habitants, a été maintenue dans des conditions remarquables.
                                                                              Les bombardements de septembre 1917, par leur violence, leur fréquence et les résultats terrifiants obtenus ont complètement l’aspect des choses ( sic !). L’exode se fait de jour en jour, sans hâte, sans panique mais irrésistiblement. Ceux que rien ne retient quittent le pays, beaucoup emportent leurs meubles. La ville se vide, plus encore les communes voisines dont les habitations, moins solides, offrent un abri absolument nul contre les nouveaux et puissants engins employés par l’ennemi.
                                                                              Les magasins se ferment sans esprit de retour (sic !), les industriels voient leurs ouvriers les quitter et bientôt, sans doute, de grosses usines vont devoir restreindre singulièrement leur production, sinon l’arrêter. C’est, dès à présent, la ruine pour le pays jusqu’à la fin de la guerre.
                                                                              La nécessité d’éteindre les lumières à la tombée de la nuit va considérablement diminuer les heures de travail car même les lumières pussent-elles être masquées, les ouvriers et ouvrières ne voudront plus circuler à l’heure où se produisent généralement les attaques ennemies.
                                                                              On manquait déjà de main-d’œuvre au port, la pénurie se fera sentir plus durement encore ; le déchargement se trouvera lui aussi ralenti et par ces raisons et par le raccourcissement de la journée. Donc dans un premier résultat : diminution, dans des proportions considérables, de la productivité des usines et diminution, par conséquent du patrimoine et des forces de la France.
                                                                              Mais les attaques ennemies, outre cette paralysée actuellement partielle, dont elles ont frappé notre région, ont causé des dégâts considérables et fait trop de nombreuses victimes.
                                                                              En une seule nuit, de multiples incendies allumés ont occasionné pour plus de 20 millions de pertes, détruisant des entrepôts, des matières premières indispensables ; plus de 20 maisons ont été totalement détruites et plus de deux cents rendues inhabitables. Au point de vue militaire proprement dit, la destruction d’une grande partie des centres d’aviation anglais et français de Saint-Pol-sur-Mer montre que l’acharnement de l’ennemi a obtenu des résultats dont il peut se réjouir à juste titre comme d’une victoire.

                                                            Quels résultats peut obtenir la continuation des attaques – mais le dernier mot n’est pas dit. Les bombes à grande puissance employées peuvent convertir les dégâts actuels en véritables désastres ; des établissements industriels peuvent être incendiés ou détruits, une bombe bien placée peut rendre inutilisable l’usine centrale de force motrice commandant l’outillage et les écluses du port, détruire ou bien fausser l’une de ces écluses, immobiliser ainsi, pour longtemps, le trafic ; une bombe bien placée peut encore détruire d’autres établissements militaires, d’autres centres d’aviation. La continuation des attaques peut entraîner l’exode plus complet des habitants, frappant ainsi complètement l’activité et la productivité de toute une région des plus prospères.

                                                            Moyens de défense – Pour empêcher ces attaques ou tout au moins les châtier de telle façon que l’ennemi devienne plus prudent ou plus circonspect, a-t-on employé le maximum des moyens de défense qu’auraient exigé l’importance du camp retranché et la valeur nationale ?
                                                                              Nous n’avons pas à nous faire juge des questions d’ordre militaire, nous ne voulons pas apprécier des choses sur lesquelles nous n’avons pas et ne devons avoir aucun contrôle, ne pouvant en porter les responsabilités, mais nous avons le devoir de raisonner avec notre simple bon sens et d’exposer des faits. Il suffit de se trouver dehors un soir d’alerte pour s’apercevoir qu’il n’y a, pour éclairer le ciel autour de Dunkerque, que six ou sept projecteurs dont la plupart, d’une puissance insignifiante, et l’on a l’impression qu’ils doivent être absolument insuffisants pour découvrir facilement les avions, les maintenir dans leur rayon ou tout au moins les gêner.
                                                                              Quand on déclenche le tir, il semble qu’il doive y avoir tout au plus une douzaine de canons, probablement de 75 qui ouvrent le feu et font des barrages, généralement assez faibles. Enfin, le bruit a couru, d’autre part, qu’une escadrille était affectée à notre défense mais qu’une partie de ses appareils avaient été brûlés lors de l’incendie récent du centre d’aviation de Saint-Pol-sur-Mer. On avait parlé également d’une défense par ballonnets comme à Venise mais il ne semble pas qu’on ait donné suite à ce projet. Donc, en résumé, six ou sept projecteurs, une douzaine de canons et une escadrille squelette pour défendre une place de première importance.
                                                                              Nous n’apprécions pas mais nous devons comparer avec ce que nous avons sous les yeux.

                                                            Défense d’Ostende – Quand nous allons le soir sur la plage et nous entendons nos avions de bombardement se rendre sur Ostende, à peine ont-ils franchis les lignes que nous voyons s’allumer de puissants projecteurs, parfaitement visibles à 45 kilomètres ; nous en avons compté jusque 17 puis nous voyons éclater en même temps des nuées de schrapnells tirés certainement par des grosses pièces. Les aviateurs nous disent combien l’éclat des projecteurs et le tir rendent le séjour difficile au-dessus d’Ostende et combien ils ont le souci de jeter rapidement leurs bombes pour sortir au plus vite de cet éclairage et de ces éclatements.

                                                            Comparaison – Cette comparaison démontre aux moins informés que ce qui constitue la défense aérienne de Dunkerque est de beaucoup inférieure à ce qu’ont fait les Allemands pour la défense aérienne d’Ostende et nous sommes obligés de conclure que les moyens mis entre les mains des autorités chargées de notre défense sont nettement insuffisants par comparaison avec ceux mis en oeuvre par nos ennemis.

                                                            Conclusion – Nous (ne) demandons pas l’impossible, nous ne demandons pas qu’on empêche l’ennemi d’attaquer un point - plus exposé que tout autre – qu’il a le plus grand intérêt à défendre ; ce que nous demandons, c’est que d’urgence et sans délai, - et dès avant la prochaine lune – on donne satisfaction aux demandes d’accroissement de défense qui paraissent s’imposer même aux esprits les moins informés – moyens de défense réclamés en vain depuis plus deux ans avec obstination, par nos Parlementaires, ce que nous demandons, c’est qu’une protection, aussi efficace que possible, soit accordée à une partie des forces économiques et militaires de la France, représentée par notre région ; ce que nous demandons c’est d’avoir l’impression qu’au moins le maximum d’efforts a été fait, après quoi – mais après quoi seulement – nous supporterons patriotiquement et sans récriminer les risques inévitables qu’impose la guerre à une ville proche du front.
                                                                              Notre devoir de Français, d’abord, de Dunkerquois ensuite, nous impose de vous tenir ce langage. De même qu’aucune partie du sol national ne doit-être cédée à l’ennemi sans avoir été défendue, de même aucune parcelle de la puissance de notre pays ne doit être exposée à la destruction sans avoir été suffisamment protégée surtout, quand le risque que doit courir l’ennemi pour atteindre son but est infime ou égard aux résultats à obtenir, surtout aussi quand les moyens de défense sont insignifiants ou égard à l’importance de la région à protéger.

                                                                              Les signataires de cette requête sont avant tout des Français conscients de leurs devoirs vis-à-vis de leur pays, des administrateurs soucieux de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs commettants. Ils auraient cru trahir les intérêts supérieurs du pays en gardant le silence sur les circonstances actuelles et en ne démontrant pas, par un exposé d’ensemble au Chef du Gouvernement et les résultats considérables déjà acquis par l’ennemi et ceux qu’ils peuvent encore obtenir si des mesures immédiates et sérieuses ne sont pas prises d’extrême urgence.

                                                                              Ils comptent fermement sur la vigilance du Gouvernement pour donner satisfaction à leur pressante démarche et vous prie(nt) d’agréer, monsieur le Président, l’expression de leurs sentiments respectueux et dévoués.

                                             Le maire de Dunkerque
                                             Le Président de la Chambre de commerce
                                             Le maire de Coudekerque-Branche
                                             Le maire de   Malo-les-Bains
                                             Le maire de Petite-Synthe
                                             Le maire de Rosendael
                                            Le maire de Saint-Pol-sur-Mer »

                                                            A la suite de cette communication, M. Chagnon propose au conseil municipal le vœu suivant

                                                                              « Considérant que par suite des départs continuels des habitants, conséquence inévitable des bombardements successifs que nous subissons, il sera bientôt impossible d’équilibrer notre budget communal.
                                                                              Le conseil émet le vœu que le Gouvernement examine la situation et prenne des mesures énergiques nécessaires pour la sécurité des habitants de la région.
                                                                              Fait remarquer qu’il est regrettable qu’après plus de trois années de guerre, nul ne sait encore à qui incombe les responsabilités lorsque des accidents surviennent,
                  Qu’une région industrielle et commerciale comme la nôtre doit être efficacement défendue et protégée,
                  Et sollicite afin de rendre la vitalité au pays que l’on accorde dans la mesure compatible avec la défense nationale le plus de sursis possible aux hommes des vieilles classes mobilisées des différentes professions.

                  Ce vœu est adopté à l’unanimité.