jeudi 17 septembre 2015

15 septembre 2015, chez les migrants de Grande-Synthe (59)... quand l'histoire se répète...



Mardi 15 septembre 2015, Dunkerque et le littoral sont littéralement noyés sous des trombes d’eau. Bien à l’abri derrière nos fenêtres closes, nous sommes tous heureux d’être au sec et plus ou moins au chaud. C’est vrai que soixante-dix de paix dans nos villes aident à faire de nos maisons de douillets cocons. Cependant, une association caritative locale, les Amis de Jacques Bialski, me demandent de venir avec eux jusque Grande-Synthe. Beaucoup de bénévoles sont des amis, aussi je me laisse facilement convaincre. Chaque vendredi soir, cette association organise des maraudes en centre-ville de Dunkerque pour amener repas et vêtements aux SDF de la ville, de plus en plus nombreux à se faire connaître au point que ces derniers temps, c’est une cinquantaine de repas qui sont ainsi servis. Cependant, les SDF ne sont pas la préoccupation unique des bénévoles. Ainsi le groupe une fois réuni se met en route pour rejoindre le camp.




La misère à nos portes
Difficile d’imaginer un tel concentré de misère à quelques pas des habitations. Un chemin boueux et défoncé mène à un terrain cerné par les arbres que l’on découvre une fois arrivé seulement. Des tentes serrées les unes contre les autres, quelques conteneurs, une benne, une épave de voiture, voilà qui constitue le décor d’un drame qui se joue tous les jours. Des hommes, souvent jeunes, mais aussi des femmes et des enfants se pressent autour du camion en espérant quelque chose qui puisse les aider quelque peu. Objectif de ce déplacement, apporter de quoi aider les plus faibles, notamment ces enfants en bas âge qui se pressent contre leurs mères. Le terrain est détrempé, le vent se lève et l’humidité mord à travers nos vêtements plus épais et plus secs que les leurs. On est bien loin de la tempête médiatique qui souffle au-dessus de Calais depuis plus d’une décennie. Non, le phénomène n’est pas nouveau, qui aurait oublié la polémique sur la fermeture de Sangatte ? Il ne fait que dramatiquement s’accentuer.
Inutile de dire qu’une fois l’équipe sortie du camp, les mots étaient malaisés à trouver même si les idées fusaient pour trouver de nouveaux moyens pour aider les migrants, que nous préférons appeler réfugiés, en collaboration avec d’autres associations. Nous qui prenons tant de soin au bien-être de nos enfants, comment accepterions nous de voir ces « petits bouts » en T-shirts et tongs sous la pluie ?



Derrière les mots
Au long de nos discussions au retour du camp, beaucoup de sujet revenaient sur la table, notamment les réactions que nous avions pu lire précédemment sur les réseaux sociaux et qui ne laissent de nous interpeller. Un média local ayant relayé un article sur ce camp où ne s’entassent pas moins de 700 personnes avait fait réagir de nombreux internautes tout le week-end. S’il y avait des commentaires empreints de compassion et de gens prêts à aider, d’autres, souvent dans un français approximatif, plus un sabir qu’une langue avançaient que ce n’étaient pas des êtres humains, que père, mère enfants, ils pouvaient crever, l’un demandait s’il restait des stocks de napalm tandis qu’un autre proposait de rouvrir les camps et de les gazer. Beaucoup aussi fantasmaient sur les 1000 euros que les réfugiés allaient recevoir chaque mois par l’Etat… et l’on avait beau apporter les preuves du contraire, impossible de leur en faire démordre.
Les mêmes hurlaient au scandale : pour eux, la France a de l’argent pour les migrants mais rien pour les SDF… Curieuse répétition des propos qu’ils tenaient il y a deux ans au sujet des Roms… La crise Rom est passée mais ils n’en sont pas venus pour autant à l’aide des SDF, que souvent ils ignorent quand ils les croisent dans la rue… mais laissons cela, la problématique des SDF relève d’autres enjeux et d’autres moyens, bien souvent à la charge, il est vrai des associations humanitaires et caritatives.





Parler de l’exil ?
Le plus frappant est le torrent de réactions sur les raisons de leur exil… Beaucoup de personnes avancent que les Français ne se sont pas sauvés pendant la Grande Guerre… Certes, mais pour aller où ? Puis les hommes du conflit 14-18 n’avaient pas trop le choix, les levées en masse et l’appel souvent devancé des classes ne laissaient pas beaucoup de choix. Puis l’enseignement de l’histoire de la Grande Guerre fait méconnaitre des pans entiers de l’histoire réelle du conflit. Car beaucoup ignorent ou méconnaissent ce qui s’est passé loin des tranchées que l’on cite en exemple. Combien savent que dès le début du conflit, le gouverneur militaire de Dunkerque évacua les « bouches inutiles » du camp retranché… Ainsi la grand-mère maternelle de l’auteur de ce billet se retrouva à Mur de Sologne dans le Loir-et-Cher… trop jeune pour travailler dans les usines. Combien ignorent que la partie du département occupée par les troupes du Kaiser était soumise à un régime terrible avec des otages civils que l’on fusillait dans les fossés de la citadelle de Lille, que les habitants devaient placer sur la porte des maisons la liste nominative des habitants des lieux, que les réquisitions vidèrent les villes et les campagnes de leur substance économique ? Que les Allemands utilisaient la déportation des civils jusqu’en Allemagne pour moyen de rétorsion et que des femmes étaient enlevées pour servir dans leurs bordels militaires de campagne… Que nous n’avons pas fini encore le déminage des combats de cette époque et que certaines de nos villes et villages furent rasés jusqu’aux fondations des maisons…Mais c’est vrai, eux, internautes de 2015 ne seraient pas partis car ils se seraient battus… 
 

D’autres en viennent à évoquer le comportement des Français qui ne sont pas partis pendant la seconde guerre mondiale… C’est glorieux la seconde guerre mondiale. Non, eux, Dunkerquois auraient fait comme leurs parents et grands-parents seraient restés se battre… Partir de Dunkerque entre 1940 et 1944 ? Certes, beaucoup ne l’auraient pas fait… Mais une question se pose… Pour aller où ? Dans une France occupée par moitié jusqu’à l’invasion de la zone dite libre en 1942 ? Dans une zone dite libre dirigée par un gouvernement collaborationniste devançant les désidératas de Berlin ? Dire cela en faisant fi de toutes les images de l’exode sur les routes de France, des colonnes de civiles se jetant dans les fossés au moindre sifflement lugubre des Stukas… En oubliant qu’en 1944, la forteresse de Dunkerque fut évacuée sur ordre de l’Amiral Frisius qui prévoyait que tout homme trouvé passé la date fatidique serait passé par les armes sans autre forme de procès… Il ne resta à Dunkerque alors qu’environ 500 civils dunkerquois parqués dans quatre camps d’internement de civils. Ainsi la grand-mère de l’auteur de ce billet repris la route en 1944 vers Champignol-les-Mondeville dans l’Aube, avec six enfants et enceinte de la dernière tandis que son mari, pompier à Saint-Pol-sur-Mer, restait à la limite de la Festung Dunkirchen puisque le service s’était replié à Bollezeele… Nul doute qu’elle aurait aimé avoir un smartphone à l’époque (puisqu’on reproche cela aux réfugiés) pour avoir des nouvelles de son époux… Tout le monde désormais a un téléphone portable et une connexion internet, la plupart décrivent par le menu toutes leurs activités, jusqu’à leur repas, voir la consistance de leurs selles mais attention, les réfugiés eux, ne devraient pas pouvoir tenter de joindre leurs proches… Pourquoi les aider, ils ne sont pas de chez nous… Même réaction que dans le village où atterrit ma grand-mère où l’on ne voulait pas lui vendre à manger car on ne voulait pas de l’argent des « Boches du Nord »… et l’on nous parle de la solidarité intemporelle du peuple Français ?





La peur du terrorisme
D’autres encore usent de l’argument massue : parmi ces migrants, combien de terroristes djihadistes ? A regarder les auteurs d’attentats de cette mouvance en France ces vingt dernières années l’on s’aperçoit qu’ils sont dans une écrasante majorité nés en France, souvent convertis ou radicalisés en prison… Le fantasme de la cinquième colonne a encore de beaux jours devant lui ! Exactement le même argument lorsqu’en 1940 l’on accusait les Belges réfugiés en France de guider les pilotes allemands avec les couvertures rouges pliés sur leurs vélos... couvertures, rappelons-le, distribuées par la Croix Rouge… la Paranoïa ne semble pas avoir de période préférées…

Non, décidemment, depuis que les réseaux sociaux se sont immiscés dans notre intimité, non seulement la parole se libère mais elle ne se contrôle plus… Enfin… ces mêmes personnes abreuvent l’internet sur le comportement réel ou supposé de leurs parents et grands-parents lors de ces fameuses dernières guerres… Bravacherie ou stupidité car nul ne sait comment il réagirait sous une pluie de bombes ou lorsque l’on se retrouve avec un pistolet sur la tempe, quand on vous fait défiler devant des cadavres décapités… Facile de s’enorgueillir de lauriers que l’on n’a pas gagné… déjà que la plupart des gens ne bougent pas quand une femme se fait agresser dans la rue, alors dans un pays en guerre… bref, ne nous minons point le moral par de tels propos… enfin, essayons.



Des drames multiples
Tentons de voir au-delà des images relayées par les médias. Cet exode massif est un drame a plus d’un titre et les habitants de nos terres septentrionales devraient plus que d’autres en avoir conscience, eu égard à l’histoire de notre région. Tout d’abord il faut garder à l’esprit le déracinement terrible de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants (le Français, si peu mobile et si attaché à sa terre et son terroir, contrairement à d’autres peuples devrait le comprendre). Qui peut se vanter de devoir laisser famille et amis, ses biens, son histoire derrière lui et prendre des risques en se mettant sous la coupe de passeurs peu scrupuleux. Les nombreuses morts en Méditerranée comme sous le tunnel sous la Manche qu’évoquent les médias n’en sont-elles pas une cruelle illustration ?
L’on nous dit que ce sont des hommes jeunes qui ont quitté leur pays, mais qu’importe l’âge, qui supporterait de perdre la situation que l’on a chez soi pour échouer dans un camp de toiles battu par les vents, de dormir dans la boue sur les chemins de l’exil ? Les détracteurs des migrants se plieraient ils de bonne grâce à de telles vicissitudes ? Je ne saurais le dire... Tout perdre pour sauver sa vie, n’est-ce pas une démarche difficile pour ceux qui étaient auparavant étudiants, médecins, journalistes car à discuter avec certains, malgré les difficultés de la barrière de la langue, beaucoup avaient une belle situation… Qui ne tenterait pas de sauver sa vie ou celle de ses enfants ? Car je pose la question à ceux qui liront ces lignes : que feriez-vous si la vie de vos enfants était en danger ?
Allons plus loin… Voilà des familles entières, des cohortes de jeunes hommes (car pour entreprendre un tel périple, il en faut des forces et du courage) qui ont tout quitté mais si d’aventure la guerre se termine dans leurs pays respectifs, s’il est possible de battre les groupes islamistes qui les ont poussé hors de chez eux, pourront ils retourner chez eux. Car le drame des migrations se joue aussi dans les pays de départ : combien de bras manqueront, combien de compétences disparaitront ?  Imaginez une France où la plupart des artisans et des jeunes diplômés partiraient sans espoir de retour ?
Laissez de côté l’argument terrible : « ils ne sont pas de chez nous », « ce sont des étrangers »… la mentalité française est pétrie de la notion d’étranger, dans certaines campagnes encore, l’étranger est déjà celui qui vit dans le village voisin… et les Français d’oublier qu’ils sont un peuple au trois-quarts constitué d’étrangers et de descendants d’étrangers (d’ailleurs le seul peuple de France à n’avoir pas migré bien sont les basques), que dans le département du Nord, nous ne sommes français que parce que Louis XIV a racheté Dunkerque en 1662 et a conquis Flandres et Hainaut entre 1667 et 1677… Tout est donc très relatif ! La France, du moins son territoire actuel a toujours été sur les grandes routes migratoires, le substrat gallo-romain n’a-t-il d’ailleurs pas été importé par des « étrangers » venus de l’autre côté des Alpes ? Le nom même de France n’est-il pas un apport de populations installées dès la fin de l’Empire romain venant de l’autre côté du Rhin… Mettons donc au défi toute personne se proclamant totalement et entièrement française d’en apporter la preuve irréfutable, ce serait bien méconnaître l’histoire de nos pays.




Et après ?
Pour l’heure, que faire ? Se contenter de regarder la télévision et se complaire dans une compassion stérile et contemplative ? On se trouve quasiment dans le même cas de figure de la non-assistance à personne en danger. A vous donc de contacter les associations qui agissent sur le terrain. Le monde ne se change pas à coups de révolution, le monde est un vaste édifice qui ne change si chacun apporte sa pierre, si petite fut-elle… Le fondateur du Secours Catholique avait coutume de dire que la charité n’avait pas d’heure, ajoutons que la solidarité ne fait pas de distinction… Quant à ceux qui ont gardé un reste d’éducation chrétienne, n’oubliez pas la fameuse phrase du Nazaréen : « ce que vous faites au plus petit d’entre vous, c’est à moi que vous le faites ». Chrétien ou non, musulman ou juif, athée ou agnostique, ce n’est que le devoir d’Homme, d’Humain, d’Humaniste… car le mal progresse par l’inaction des gens de bien.




5 commentaires:

  1. Très beau texte avec de belles photos. Merci pour votre témoignage et votre mise au point sur les Migrants. Pascal

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  2. Bonjour, pourrais je avoir votre adresse mail? j ai une demande à vous faire concernant l une des photos de cet article... merci

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  3. Bravo monsieur et merci! Si tous pouvaient parler et penser comme vous le faites, le monde se porterait mieux.
    Il suffirait simplement de se comporter comme des êtres humains, au-delà de toute croyance ou conviction politique.
    Il serait temps de laisser parler nos coeurs et nos sentiments.

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  4. Merci pour ces belles paroles. Nous sommes tous des êtres humains avec nos convictions et nos croyances. Pour moi le plus important c'est la tolérance et le respect

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