mardi 12 janvier 2016

4.000 oubliés venus de Chine..



De 1917 à 1921, le port et l’usine des Dunes employèrent pas moins de 4.000 travailleurs volontaires chinois, un épisode largement méconnu dans l’histoire dunkerquoise… aussi largement ignoré qu’en France où pas moins de 140.000 Chinois furent employés durant la même période…
Les documents, il est vrai, sont somme toute peu nombreux à les mentionner et le temps passant, la mémoire des derniers témoins s’efface irrémédiablement… En 1917, la situation est tendue au port et dans les usines dunkerquoises… Le port est depuis le début de la Grande Guerre une station-magasin administrée par l’armée anglaise afin de ravitailler le front nord et les bras manquent cruellement : nombre de dockers et d’ouvriers sont partis sous les drapeaux depuis longtemps, les enfants en âge de travailler sont absents depuis 1914 avec l’évacuation des « bouches inutiles » et la guerre réclame sans cesse plus d’efforts puisque le front stabilisé depuis la course à la mer demande toujours plus d’hommes, de matériels, de vivres et de munitions… sans compter l’extraordinaire pression de l’effondrement annoncé du front russe…
  


Si toute la Côte d’Opale est devenue une vaste base militaire, Dunkerque est, elle, une base cosmopolite gérée par les armées alliées, britanniques en tête. Il faut trouver des manutentionnaires d’urgence. Bien qu’au début du conflit, on embaucha des dockers anglais, ceux-ci durent vite rejoindre les troupes de Sa Majesté… L’on fit venir des travailleurs égyptiens mais ils s’enfuient dès les premiers bombardements qu’ils subissent… Comme la France a des troupes coloniales, l’on fait appel aussi à des ouvriers venant de ces terres lointaines mais ils ne surent s’adapter au climat et la source se tarit rapidement en raison d’une épidémie en Indochine…  La décision de faire appel à des volontaires chinois est prise en 1916 mais la Chine est un état souverain, pas une colonie ni un dominion… Aussi l’on se résout à proposer à des volontaires des contrats civils de trois ans dans le secteur privé. La Chine méridionale connait les premiers troubles révolutionnaires, aussi se tourne-t-on vers la Chine du Nord, dont le climat d’ailleurs, se rapproche plus du nôtre. La voie d’acheminement est longue car il est hors de question de passer par le canal de Suez, ce qui oblige à un voyage de trois mois pour doubler le cap de Bonne Espérance. Dépendant des Anglais, la première étape de leur périple européen se fait outre-Manche puis ils sont débarqués au Havre, regroupés à Noyelles-sur-Mer (qui abrite depuis le plus grand cimetière chinois de France). Une fois passée la visite médicale, on les repartit enfin dans leurs zones de travail, avant tout les ports de Boulogne, de Calais et de Dunkerque. Quelques usines en campagne en recueillent comme à Ruminghem où l’on peut aussi visiter leur cimetière… A Dunkerque, le port en emploie 3.600, l’usine des Dunes 400.
 
Leurs conditions de vie restent cependant déplorables. Nourris et habillés, ils ne gagnent qu’un franc par jour alors que pour le même poste, le dunkerquois gagne huit fois plus. Hébergés sous tente, ils s’éparpillent dans la campagne environnante à chaque bombardement qui les terrorise. Bombardements, manque de nourriture et surtout les restrictions nombreuses qui leur sont imposées sont à l’origine d’émeutes. Les Chinois employés au port de Dunkerque sont abrités dans un camp de toile à la Samaritaine, au plus près du port, mais ils sont interdits de séjour à Dunkerque. Passer les portes de l’enceinte leur est interdit… Il en est de même pour ceux qui sont  employés à l’usine des Dunes, eux aussi « assignés à résidence »… L’on ne peut éviter les frictions avec les populations locales qui les accusent de tous les maux comme le vol, le chapardage, la disparition des chiens mais sous-payés et mal nourris, ne maitrisant le plus souvent aucun mot de français, les chapardages dans les champs sont inévitables. L’incompréhension est totale, l’effroi règne dans les deux camps. A Saint-Pol-sur-Mer, les enfants eux attendent les funérailles des Chinois qui perdent la vie durant leur contrat pour aller dévorer les maigres offrandes en nourriture laissées sur les tombes (lesquelles sont transférées après-guerre)… Ce sont deux mondes qui se côtoient mais ne se fréquentent pas… La justice française reste en retrait pour les accusations de crimes et délits, après tout, ils sont placés sous juridiction anglaise et peu d’archives ont subsisté… L’on en est encore réduit aux conjectures et aux souvenirs plus ou moins fiables des Anciens...
  
Après le Traité de Versailles, les premiers rapatriements se font dès 1919, même si les contrats ne sont pas encore arrivés à terme. Les Européens commencent à être libérés de leurs obligations et militaires et il faut bien qu’ils retrouvent leurs emplois… Certains cependant restent pour la reconstruction car le quart nord-est du pays est ravagé et la saignée démographique de la guerre a été profonde… Peu cependant restent définitivement dans le pays…

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